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« Inventer de nouvelles erreurs » de Grand Magasin au Théâtre de Gennevilliers

Nov 07, 2014 | Commentaires fermés sur « Inventer de nouvelles erreurs » de Grand Magasin au Théâtre de Gennevilliers

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 medias_file_w355_Grand_MagasinGrand_Magasinweb1© Grand Magasin

Grand Magasin, soit Pascale Murtin et François Hiffler, compagnie toujours aussi azimutée faisant de petits riens – et c’est déjà beaucoup – de grandes choses, se lancent dans l’opéra. Un opéra « méditatif » sur « la question du même et du différent ». Mais attention, comme toujours avec ces deux originaux géniaux, fidèles à leur principe où tout est dans le rien, le plein dans le vide, ou presque, et l’humour particulier qui les caractérise, cette entreprise périlleuse et singulière est menée avec le plus grand sérieux. Pour ce faire le philosophe allemand Leibniz (1646-1716) est mis à contribution et fournit le livret, à savoir deux phrases lapidaires énoncées dans un conte philosophique par une princesse: « Je ne crois pas qu’en ce jardin se trouvent deux feuilles exactement semblables, il y a toujours de petites différences. » Et Leibniz de conclure devant le gentilhomme qui voulut lui soutenir le contraire « Quoiqu’il en cherchât beaucoup, il fut convaincu par ses yeux qu’elles étaient toutes différentes. » Et comme toujours avec Grand Magasin où la réserve est pleine de surprises il y avait dans le stock de l’arrière-boutique le compositeur Tom Johnson qui, à leur demande, a composé la musique. Musique minimaliste et répétitive (quoique…) soit 16 variations du même thème pour deux flûtes traversières et deux soprano aux voix jumelles mais avec une légère différence puisque, comme les feuilles du jardin, rien n’est jamais vraiment identique. Et c’est en préliminaire à cet opéra très court, 20 minutes, que Grand Magasin va tenter d’illustrer le principe, et quelques autres encore, de Leibniz et conséquemment de Tom Johnson. Lequel par ailleurs intervient volontiers de la salle pour nous éclairer sur certains points qui pourraient sembler obscurs. Et puisque la princesse est multipliée par deux, le gentilhomme le sera par 6, trois hommes et trois femmes. Un chœur. Et là cela devient franchement hilarant malgré le sérieux des propositions déclinées. Jeu de rôle ou chacun des gentilshommes décline avec un humour pince-sans-rire, sérieux comme des papes, ses différences malgré la ressemblance apparente. Qu’ils soient hommes, femmes, avec ou sans moustache, insectes, fleurs ou chênes. Parce qu’un chêne c’est toujours plus qu’un chêne vu qu’il y en a environ quatre cent espèces différentes. J’éviterai ici l’énumération. Tout cela est parfaitement loufoque et d’une logique mathématique implacable. Une démonstration rigoureuse, un peu et heureusement foutraque quand même, franchement drôle, judicieusement et intelligemment décalée. C’est le petit Leibniz illustré ou le Leibniz pour les nuls. On devine les comédiens, réduits à n’être que de simples listes, à se déplacer d’un point à un autre, porter quelques objets et des fraises de cartons autour du cou, jubiler avec le plus grand sérieux et une totale abnégation, tout entier absorbé dans leur drôle de tâche qui tient du jeu de rôle, de colin-maillard ou cache-tampon… Drôle de cours de philosophie qui ressemble bien davantage en y regardant de près à une cour de récréation. Mais encore une fois pour Grand Magasin l’intérêt réside aussi dans la fabrication de l’objet plus que l’objet lui-même. Ou du moins dans le processus qui va de l’un vers l’autre. Leur devise semble être « cent fois sur le métier remettre son ouvrage ». On comprend sans doute mieux le titre énigmatique de ce nouvel objet théâtral, « Inventer de nouvelles erreurs », l’aphorisme ad-hoc ici de Lichtenberg (1742-1799). Chaque opus présenté, quel qu’en soit le thème ou le format, creuse davantage leur drôle de sillon. Un chemin donc truffé d’erreurs, certes, mais on achète sans barguigner !

Inventer de nouvelles erreurs
Un essai de Grand Magasin
Avec Tiphanie Bovay-Klameth, François Gremaud, Michèle Gurtner, François Hiffler, Tom Johnson, Pascale Murtin, Diederik Peeters
Sopranos, Elisa Doughty et Aviva Timonier
Flûtistes, Amelie Berson, Alessandra Giura Longo
Musique, Tom Johnson
Chansons additionnelles, Grand Magasin
Eclairage, régie Générale, Nicolas Barrot
Vendeuse, Christine Bompal

Théâtre de Gennevilliers
Centre dramatique nationale de création contemporaine
41 avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
Du 5 au 15 novembre 2014
5,6,8,13,14,15 novembre à 21h, 10,12 novembre à 19h30, 9 novembre à 15h
Réservations 01 41 32 26 26
billeterie@tgcdn.com

www.theatre2gennevilliers.com

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