Critiques // Institut Ophélie, une pièce de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano au T2G Théâtre de Gennevilliers

Institut Ophélie, une pièce de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano au T2G Théâtre de Gennevilliers

Jan 16, 2023 | Commentaires fermés sur Institut Ophélie, une pièce de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano au T2G Théâtre de Gennevilliers

 

 

© Jean-Louis Fernandez

 

ƒ article de Nicolas Thevenot

2 fois 3 portes, 2 chaises, 1 table. Dans l’espace formé par deux immenses parois, formant angle, et un plancher, tout de gris au premier abord, une sorte de mathématique se détache immédiatement. Lorsque la première époque débutera (la pièce étant segmentée sur plusieurs périodes historiques comme autant de monochromes successifs à la représentation unique de la femme), c’est un ballet effréné, entrainé par une valse folle à la boucle infinie, à l’implacable géométrie qui s’écrira, Ophélie dans une ronde circulaire, et les autres personnages dans des lignes de fuite d’une porte à l’autre. Il y a de la boite musicale avec son petit personnage de danseuse dans cette entame. En plus sauvage, et ambigu. S’en dégagent une forte séduction et une puissance scénique assez remarquable. Les corps sont tirés au cordeau, les effets de synchronicité pour les entrants et sortants construisent une forme vive et visuelle, et cette évocation du monde d’après 14, avec ses militaires, ses hommes politiques, ses gueules cassées  comme autant de lignes brisées contre la folle spirale d’Ophélie, ouvre véritablement un espace et un temps scéniques. Et une réflexion pour le spectateur quand bien même cette première partie serait la moins disert de l’ensemble. Ou justement pour cette raison même.

Car il faut bien avouer que la proposition de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano m’aura posé question, sans que cela n’interroge son objet. Institut Ophélie ayant choisi comme « champ de bataille » les représentations féminines et plus particulièrement les structures sociales qui les assignent, le terrain est plutôt conquis d’avance : non pas que le sujet n’existerait pas, que les représentations qui ont eu force, qui ont été naturalisées et sont pour cela même d’autant plus insidieuses, se seraient évanouies, mais le sujet obtiendra l’adhésion du public sans avoir besoin de vaincre une quelconque résistance. La question que m’a posé Institut Ophélie est celle de la forme et de son langage. Plus précisément : un spectacle s’attaquant aux représentations et structures aliénantes doit-il lui-même aliéner son public ? Doit-il se construire lui-même sur des formes verrouillées, ne laissant pas même l’espace d’un papier à cigarette à glisser entre ses mots et ses images, n’offrant aucune respiration au spectateur ? Le risque alors est celui de l’illustration démonstrative, de la saturation du sens qui finit par se réduire à un sens unique. Hasard des lectures du moment, celle de Georges Didi-Huberman (Le témoin jusqu’au bout) me semble à propos : « Parler nous divise. Nous prononçons un seul mot, et voici qu’il bifurque déjà, emportant avec lui nos propres associations d’idée non moins que nos dissociations affectives. Et cependant nous parlons, histoire de partager notre existence avec autrui. Nous partageons donc, bien que dissociés d’autrui comme de nous-mêmes ». Institut Ophélie n’est pas partagé, au sens de Didi-Huberman. Il ne saurait nous diviser puisqu’il est lui-même d’un bloc. Il ne saurait nous regarder puisqu’il n’envisage pas d’altérité. C’est le contraire d’une forme ouverte. C’est un théorème qui boucle sur lui-même et nous laisse de côté.

 

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Institut Ophélie, une pièce de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano

Écriture : Olivier Saccomano

Mise en scène : Nathalie Garraud

Avec : Karim Daher, Mitsou Doudeau, Mathis Masurier, Cédric Michel, Florian Onnéin, Conchita Paz, Maïka Radigales, Lorie-Joy Ramanaidou, Charly Totterwitz

Scénographie : Lucie Auclair, Nathalie Garraud

Costumes : Sarah Leterrier

Lumière : Sarah Marcotte

Son : Serge Monségu

Régie générale : Nicolas Castanier

Assistanat à la mise en scène : Romane Guillaume

 

Du 12 au 23 janvier 2023 à 20h, sauf samedi à 18h et dimanche à 16h, relâche mardi et mercredi

 

T2G Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National

41 Av. des Grésillons, 92230 Gennevilliers

tél 01 41 32 26 10

www.theatredegennevilliers.fr

 

Tournée :

Le 7 mars 2023

Le Liberté, Scène nationale de Châteauvallon

Les 14 et 15 mars 2023, L’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle

Du 23 au 25 mars 2023, La Comédie, Centre dramatique national de Reims

Les 30 et 31 mars 2023, Le Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence

Les 13 et 14 avril 2023, Théâtre du Grand Marché, Centre dramatique national de l’Océan indien, La Réunion

Les 19 et 20 mai 2023, Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles

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