Critiques // Inoxydables de Julie Ménard, mise en scène Maxime Mansion, au CENTQUATRE-Paris, avec le Festival IMPATIENCE

Inoxydables de Julie Ménard, mise en scène Maxime Mansion, au CENTQUATRE-Paris, avec le Festival IMPATIENCE

Déc 23, 2019 | Commentaires fermés sur Inoxydables de Julie Ménard, mise en scène Maxime Mansion, au CENTQUATRE-Paris, avec le Festival IMPATIENCE

 

 

© Michel Cavalca

 

 

article de Nicolas Thevenot

Ça commence comme un concert de Rock/Métal. Tandis que les musiciens arrangent leurs instruments et échangent entre eux, on s’installe dans la grisaille des fumigènes et la lumière blanche de néons qui pendent de travers, façon installation de François Morellet au Centre Pompidou. 

Batteur, guitariste, bassiste lancent un premier morceau. Une jeune femme se lève du premier rang du public et rejoint la scène. C’est Mia, la groupie, qui jette son dévolu sur Sil, le bassiste.

Par un travail sonore cut assez astucieux et très effectif alternant voix intérieure, dialogue, et brouhaha du concert, la scène de drague se déroule comme si l’on se trouvait avec eux au milieu du concert. De cette première rencontre très alcoolisée naîtra une relation qui aboutira à la formation d’un couple. Le groupe de musique déjà formé, lui, agrégera Mia qui apportera sa voix à l’aventure musicale. Jusque-là tout va bien.

Quand soudainement, par une bascule dramaturgique tombée du ciel, purement gratuite, les deux amoureux se voient jetés sur les routes migratoires. Sans raison ni explication. S’ensuit leur parcours : marche, épuisement, faim, froid, frontière, police, retour à la case départ, plusieurs tentatives, canoë pneumatique, naufrage… tout cela raconté au pas de course sous forme de scènes très courtes, dont la substance ne dépasse pas vraiment la vignette BD. On notera un travail de lumière à nouveau astucieux et effectif, suffisant à évoquer les espaces concrets du parcours de Sil et Mia.

Ne tardons plus : ce spectacle nous a mis mal à l’aise, nous a mis en colère.

Pourquoi figurer le drame des migrants par un jeune couple d’amoureux musiciens ? On peine à trouver une raison tant cela semble inopérant, et faux.

Que nous dit la feuille de salle ? « Le texte de Julie Ménard brise la distance avec la tragédie d’un parcours d’exil en le faisant démarrer dans une réalité qui peut nous être familière ». Qu’est-ce donc que cette « réalité qui peut nous être familière » : serait-ce celle d’un milieu artiste-bohème ? ou alors notre réalité de blancs occidentaux ?

Allons un peu plus loin dans ce qui est implicitement suggéré : faudrait-il nécessairement que ce qui est représenté sur un plateau nous soit familier, nous ressemble, pour que nous soyons en mesure de nous y identifier ? Serions-nous plus sensibles à ce qui se jouent quand cela serait joué par des personnes qui nous ressemblent, qui nous sont familières ?

Ce postulat nous afflige, car il revient à refuser l’altérité sous prétexte qu’elle serait moins capable d’émouvoir un public que l’identité. Ce qui est évidemment faux. Et politiquement nauséabond.

Et puis l’émotion n’est pas forcément le gage de la justesse et de la justice. En éliminant toute contextualisation à la migration, en prenant le parti pris de l’action, Inoxydables reprend à son compte la vision médiatique, se réduisant à du storytelling, considérant plus vendeur de ne conserver que les péripéties du parcours migratoire tout en rejetant ce qui précède le départ : la guerre, la situation économique, une situation personnelle, etc. En découpant ainsi le réel, Inoxydables tronque le réel, et fuit dans un douteux romanesque. L’histoire de ces vies est devenu un motif scénaristique que l’on s’approprie pour faire carburer une vaine machine théâtrale.

Ce théâtre n’a d’ailleurs aucune réalité : il s’attache à des artefacts, il plaide la sentimentalité par une incarnation qui jamais ne doute d’elle-même, il est incapable de nous donner à voir et réfléchir le monde, car il est aveugle au monde. Il invente une réalité car il a peur d’affronter la réalité. Il choisit son thème – la migration – sans interroger les moyens qu’il met en œuvre et ce que ces moyens proposent comme vision du monde.

On ne peut que conseiller la lecture du récent livre d’Olivier Neveux abordant avec clarté les travers de nombreux spectacles à teneur « politique » mais aussi certaines réussites : Contre le théâtre politique (La Fabrique).

L’enfer est pavé de bonnes intentions.

 

 

 

 

Inoxydables, texte de Julie Ménard

Mise en scène : Maxime Mansion

Avec Antoine Amblard et Juliette Savary

Création musicale et musique live : Klone, Guillaume Bernard, Aldrick Guadagnino et Yann Ligner

Création sonore : Quentin Dumay

Lumières : Lucas Delachaux

Scénographie : Amandine Livet

Costumes : Paul Andriamanana Rasoamiaramanana

 

 

Durée 1 h 10

Le 14 à 19 h et le 15 décembre 2019 à 16 h

 

 

LE CENTQUATRE-PARIS

5 rue Curial

75019 Paris

Réservation au +01 53 35 50 00

www.104.fr

 

 

 

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