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Inflammation du verbe vivre, mis en scène par Wajdi Mouawad au Théâtre National de Chaillot

Juin 06, 2016 | Commentaires fermés sur Inflammation du verbe vivre, mis en scène par Wajdi Mouawad au Théâtre National de Chaillot

Article d’Ulysse Di Gregorio

REPETITIONS / INFLAMMATION DU VERBE VIVRE de Wajdi MOUAWAD d apres PHILOCTETE de Sophocle mise en scene de Wajdi MOUAWAD Avec : Wajdi MOUAWAD ENSA de NANTES le 22 mai 2015 © Pascal GELY

© Pascal Gély

C’est au Palais de Chaillot que Wajdi Mouawad présente Le dernier Jour de sa vie. L’expérience théâtrale est vite rattrapée par le réel, et c’est un réel anecdotique et non pas visionnaire comme le souhaitait son metteur en scène. Wajdi Mouawad tombe dans la vacuité artistique et le nihilisme. Comme prologue, dressé sur un promontoire de fortune, il tient avec un ton affecté et une diction saccadée des propos futiles et dérisoires sur la condition humaine et le sens de la création. Le voyage, que nous propose l’acteur au travers de sa narration et de son « show », n’atteint pas sa destination. Le comédien principal, accompagné par les images projetées sur la toile, pérégrine dans les lieux mêmes où les tragiques ont vécu, mais cela ne corrobore en rien le sens de la pièce, bien au contraire. Entrecouper des extraits de Sophocle par des commentaires bouffons dans le but d’amoindrir l’auteur tragique peut faire douter de la capacité du metteur en scène à comprendre ce vers quoi il s’est tourné.

En fond de scène, l’équipe artistique, qui est projetée sur une toile, débite sans conviction et avec une dérision affectée la viabilité de la création et sa réception par le public. Mouawad s’interroge : faut-il ou ne faut-il pas annuler le spectacle ? Le public suivra t-il ? (est-il assez évolué, sensible et émérite pour saisir l’intelligible que nous lui offrons ?…). En effet le public ne suit pas, car le spectacle ne suit pas. Une proposition futile, fictive et tronquée se joue ici. Les balancés lascifs du comédien, son exhibition permanente ne suffisent plus à provoquer l’auditeur. On ne comprend pas ce superflu, et il ne fait d’ailleurs plus recette. Si les flèches de Philoctète auront traversé les siècles, celles de Mouawad trempées dans le Léthé n’auront pas franchi la rampe, ni même franchi son propre désir, celui d’offrir au public une création à la hauteur de ses audaces. Le spectacle ne suit pas la ligne éditoriale que le papier annonce en devanture : une pléthore d’explications de texte pour que l’auditeur parvienne peut-être sans trop de difficultés à saisir le sens de la proposition qui se veut articulée autour des démiurges Sophocle et Eschyle. Les références aux grands classiques, tels Ajax de Sophocle ou encore Œdipe ou même Philoctète, ne sont pas lisibles. Nous assistons à cette création sur le mode de l’imposture, déroutés par tant de platitude, de non sens et de non vision. L’inflammation du verbe de Wajdi Mouawad rime avec son extinction. Durant l’exercice de style de ce qui se voulait un théâtre porté sur l’invisible, le metteur en scène se contredit, ce sera un théâtre ayant comme substrat l’apathie. A partir de ce même substrat et tout au long de l’exercice, il n’aura de cesse de s’afficher quasi nu sur scène, ou dans son lit où le « créateur » cherche le sommeil, ou plutôt son inspiration qui semble lui faire défaut. L’exigence de création s’est évaporée dans les convenances, celles trop usitées de la complaisance. Il faut aller au bout de son audace et de cet instinct qui palpite en chacun de nous. La nudité, la vérité ne se révèlent et ne s’explorent que dans l’abandon total de cet être. Oui à la nudité dans l’art, mais la vraie, et non pas sa copie déguisée.

Inflammation du verbe vivre
Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Dramaturgie Charlotte Farcet
Scénographie Emmanuel Clolus
Réalisation sonore Michel Maurer

Réalisation vidéo Wajdi Mouawad assisté de Dominique Daviet
Avec Wajdi Mouawad, Dimitris Kranias
Du 31 mai au 1er juin 2016-06-02

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro – 75116 Paris
Réservations : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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