ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Boris Charmatz continue d’explorer inlassablement le geste. L’infini du geste, ses possibilités, ses impossibilités, son abstraction, son signifiant, son signifié. Ce qui fait signe enfin jusqu’à la contradiction. De zéro à l’infini, en un long décompte, à l’endroit, à l’envers, les danseurs égrènent les nombres qui agrègent le groupe et le disloquent alternativement. Les corps fusionnent, ensemble et séparément dessinent une mathématique abstraite, concrète, symbolique, imaginaire, littérale et littéraire. Usent de la métaphore et de la métamorphose. Épousent le nombre, s’en détachent. Se cabrent aussi. Résistent. Entre symbiose et décalage, le mouvement semble perpétuel et le geste ébauché ou semblant achevé ne devoir jamais finir, ne pouvoir jamais finir. Séries, mesures puis dates, mémoire calendaire où le corps mémoriel se métamorphose, restitue sa genèse, entre souvenirs fragmentaires et faits bruts. De libre absolument et affranchi de tout, sauvage même, devient politique, social, culturel, cultuel. Une construction sociale dénoncée aussitôt détournée, recrée, recrachée, métamorphosée par ces six-là qui sur le plateau s’ébrouent et condensent à la fois l’intime et l’universel, la grande et la petite histoire, le plein et le vide, le conscient et l’inconscient, la vie et la mort. Jusqu’à évoquer malicieusement l’histoire de la danse elle-même, en un collage brutal par son accélération qui voit Rameau chahuté par le hip-hop. Ce n’est pas tant un mouvement, un geste que provoque cette litanie proférée de nombres et de chiffres qu’une évocation – texture, saveurs, couleur, événements – qui soutend, élabore, engendre ce même geste et sa récurrence. C’est tout ça que les danseurs restituent, ébauchent, dénoncent de façon fracassante, avec une énergie folle et sans faille, voire une hystérie joyeuse et hypnotique. Une chorégraphie ultra-dense et ultra-véloce mais qui sait aussi jouer de son épuisement pour mieux rebondir. Pause, parfois, et lenteur coexistent au milieu de ce maelstrom tournoyant mais avec toujours la même densité, cette qualité de présence indéniable. Au point zéro, un zéro répété comme un mantra, le corps est en arrêt, mais en présence absolue qui est aussi un mouvement en soi, entre celui qui précède et celui qui advient. Un écartèlement extrême dont se joue Boris Charmatz comme si le temps soudain était freiné dans son élan pour que dans cette faille temporelle apparue nous puissions voir le geste au travail, la mécanique chorégraphique. Un zoom comme un clin d’œil pour dénoncer la rigueur de cet opus sous le chaos apparent. Une fois, une seule, la danse aborde le vide vertigineux et la suspension du geste. 2019, l’hésitation avant 2020 vaut interrogation sans doute, sur l’avenir et le geste à inventer demain dans ce monde en pleine mutation explosive. Pièce autant vocale, on y chante, éructe, hurle et chuchote, que chorégraphique, prolongement de la précédente, 10 000 gestes, Infini interroge avec sans doute plus de gravité derrière son exubérance fébrile, sa jubilation, l’empreinte du mouvement, la fragilité du geste et sa résistance, la capacité de résilience du corps face au temps qui passe.
Infini chorégraphie de Boris Charmatz
Assistante Magalie Caillet-Gajan
Lumière Yves Godin
Son Olivier Renouf
Costumes Jean-Paul Lespagnard
Travail vocal Dalila Khatir
Avec régis badel, Boris Charmatz, Raphaëlle delauney, Maud le Pladec, Solène Watcher, Fabrice Mazliah
Du 10 au 14 septembre 2019
A 20 h et le samedi à 16 h
Théâtre de la Ville
Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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