© Thomas Lavelle
ƒƒ article de Bertrand Pionce
Réfugiée politique en France depuis sept ans, Mina Kavani porte en elle I’m deranged depuis plus de trois ans. Monologue autobiographique et habité, le texte est porté par une actrice dont on sent qu’elle joue, au sens propre, sa vie sur scène.
On se demande en quel sens il faut prendre ce titre, anglophone, qui écartèle encore davantage son autrice, déjà partagée entre deux langues et deux pays. Se voit-elle comme (mentalement) dérangée ? L’hypothèse peut séduire, car l’actrice-autrice parle de sa situation comme d’une « schizophrénie ». De Paris, elle se languit de Téhéran, de sa famille, des déjeuners dans le jardin ; en Iran, elle rêve de Paris, des musées, de la liberté. La comédienne, comme se livrant en public à une psychanalyse, revient à la matrice, à l’évènement primitif : une mère, qui, deux mois avant la naissance de ses jumeaux (dont Mina), revient accoucher à Téhéran. L’exil et la nostalgie semblent en effet avoir accompagné Mina Kavani dès sa naissance. Issue d’une famille d’artistes, elle a vécu en Iran une adolescence semblablement clivée : uniforme de l’école islamique le jour, dehors ; « Brooklyn underground » occidental, le soir, la nuit, à la maison, ou chez ses amis, et la découverte des « grands auteurs », ou du cinéma.
« Deranged », Mina Karvani l’est aussi en ce sens qu’elle ne sait où se ranger – et vers qui tourner sa rage de ne pas pouvoir exister comme femme ou comme artiste, dans son propre pays. La quête d’un lieu se lit aussi sur scène : l’actrice, sur un petit plateau, actionne des panneaux réfléchissants qui lui servent tantôt à s’observer, se juger, interroger sa psyché, tantôt à figurer des espaces étouffants, desquels elle semble émerger, naissant (enfin) à elle-même.
Ce qui domine dans le spectacle, c’est cette voix, vibrante et vivante, toujours juste, lyrique et emportée ; et c’est ce visage à la tragique beauté, qui émerge peu à peu du noir, pour se donner, au final, dans toute la splendeur de la lumière des saluts : ubi bene ibi patria – sur scène, donc.
© Thomas Lavelle
I’m deranged, de Mina Kavani
Mise en scène : Mina Kavani
Avec : Mina Kavani
Composition musicale : Siavash Amini
Artiste sonore : Cinna Peyghamy
Scénographie : Clémence Kazémi
Création lumières : Marco Giusti
Régie lumières et générale : Pierre-Éric Vives
Collaborateur artistique : Maksym Teteruk
Durée : 1 h
Du 12 au 22 octobre 2023, 20h30 et 16h30 le dimanche
Athénée Théâtre Louis Jouvet
Salle Christian Bérard (4e sans ascenseur)
2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet
75009 Paris
Tel. : 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com
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