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Iliade et Odyssée, d’après Homère, mise en scène de Pauline Bayle, Théâtre Public de Montreuil

Sep 20, 2022 | Commentaires fermés sur Iliade et Odyssée, d’après Homère, mise en scène de Pauline Bayle, Théâtre Public de Montreuil

Iliade © Blandine Soulage

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

« Recherche hommes pour voyage incertain, gages modestes […] longues périodes d’extrême danger, retour non assuré. Gloire et célébrité en cas de réussite. » Voici l’annonce publiée par Ernest Shackleton avant son expédition pour le Pôle sud, gravée dans le hall du théâtre de Montreuil. Cent ans plus tard, c’est vers l’expédition homérique que nous guide Pauline Bayle, d’Ithaque vers Troie et retour d’Ulysse vingt ans plus tard.

Stupeur et tremblement, le spectacle débute devant le hall du théâtre, sur la place Jean Jaurès. Les murs résonnent de la fureur d’Achille lors de sa prise de bec avec Agamemnon. Quelques quinze minutes après, sur le plateau du théâtre, le voilà qui se plaint à sa mère de l’injustice dont il est victime, « maman » gémit-il comme un môme dans la cour de récréation. Ce prologue inaugure une épopée mythique en deux parties, visibles séparément ou à la suite.

L’Iliade raconte un épisode de la guerre de Troie, la colère d’Achille. Les Grecs font le siège devant la ville depuis déjà dix ans sans résultat. Achille se brouille avec Agamemnon pour une histoire de femmes. Le dieu se met en colère et envoie la peste chez les Grecs. Furieux, le héros « aux pieds légers » se retire dans sa tente et refuse le combat. Les Grecs sont vaincus par les Troyens. Suite à la mort de son ami Patrocle, Achille, fou de douleur se venge en reprenant les armes et se livre à un véritable carnage dans les rangs des Troyens.

L’Iliade est par essence théâtral, avec des personnages, des dialogues ; sur l’Olympe les dieux s’ennuient, l’éternité c’est long surtout à la fin, les hommes les distraient, chacun a son champion et tire les ficelles. Ils ripaillent, baisent, se chamaillent, font venir la pluie, les vents au gré des circonstances. Zeus, le numéro un a des problèmes d’autorité face à Poséidon le numéro deux qui vise évidemment à l’évincer mais son talon d’Achille si l’on peut dire, c’est Héra à la chevelure de vamp, il suffit d’une main sur son genou et le voilà distrait de ses obligations. De vrais gamins ces éternels, on frise la parodie à la Muppets Show avec des moments burlesques.

Sur la terre, c’est une autre chanson, une boucherie sans nom, l’horreur des tranchés ou l’on tranche les corps, la torture, les noms des camarades qui tombent morts au champ d’honneur. Peu d’auteurs ont montré aussi crûment l’horreur de la guerre qu’Homère, l’engrenage de la violence.

Les cinq comédiens tombent, rebondissent, ploient sous les vents contraires, reçoivent des sceaux d’eau, s’élancent, pleurent les morts, implorent les dieux, appellent leurs mères ; ils assument tous les rôles avec fluidité, cette souplesse est un vrai point fort du spectacle qui fait fi du genre et maintient un souffle épique.

Un rectangle de papier kraft devient champ de bataille ; des chaises, des jets de peinture, une planche en bois, des sceaux pleins de paillettes et voilà « les mains de feu » d’Achille, une mer calme ou démontée, le sang qui coule, les tentes du campement ; on pige immédiatement la situation, l’éviscération des entrailles, les os qui craquent ; les mots sont autrement plus puissants que les images, incarnés par des comédiens fougueux sans micro ; on entend tout, chaque supplique, chaque meurtre, le désir, ombres et lumières sur le plateau, dans la pure tradition orale des aèdes homéride, c’est beau !

L’Odyssée raconte le retour d’Ulysse vers sa terre natale de Charybde en Scylla, bravant le Cyclope, le chant des sirènes, Circé l’ensorceleuse, les lotophages et se vengeant des prétendants usurpateurs, extrême danger comme disait Shackleton et gloire éternelle à lui !

Comparé à la dramaturgie incandescente de l’Iliade, l’Odyssée est selon Philippe Brunet « le portrait d’un homme à travers le récit de ses errances » un chant du retour, cent fois contrarié et cent fois remis sur le métier tel le tissage de Pénélope, un poème en prose qui valorise le respect de l’hospitalité, la tolérance, l’accueil de l’étranger, l’amour de sa terre. Ulysse est un paysan contrarié, il n’aime rien tant que tourner le dos à la mer, il faut entendre les comédiens évoquer inlassablement un caillou au milieu des eaux, « dépourvu de chevaux mais riche de tout ce qu’il faut, du blé, du vin, et des forêts en abondance ». Rien ne semble plus beau, plus précieux que la lumière irisée d’Ithaque, les fruits gorgés de sucre, le lait d’ânesse. Les acteurs réussissent avec une économie de moyens, une pelletée de sable, un banc, un cadre en bois, à nous faire ressentir ce que peut être pour un exilé fouler le sol de son pays. Jusqu’au bout Ulysse ne sait pas si on le reconnaitra, quel prix devra t’il payer pour son absence ?

Merci à vous, Pauline Bayle, de n’avoir pas cherché à faire votre maline en surchargeant le texte d’interprétations « modernistes », d’effets spéciaux prétentieux. Votre adaptation par sa pureté s’impose d’elle-même, il faut rester humble devant une si belle langue qui n’a d’égale que la douceur du miel, l’air cristallin de la Grèce et la fraîcheur de l’eau au creux de la main.

Bienheureux spectateurs, que vous soyez hellénistes ou néophytes, vous reviendrez le cœur plein de joie et au matin « l’aurore aux doigts de rose » cueillera votre âme ravie. Embarquez-vous de toute urgence vers Montreuil, 27 000 vers condensés en trois heures… quelle Odyssée !