© Pascal Gely
ƒƒ article de Denis Sanglard
Raoul Fernandez est mort qui rejoint la cohorte des fantômes qui hantent les théâtres. Vraiment ? Le voilà donc pour toujours sur scène, et puisqu’il ne sait plus son texte, ou du moins n’a-t-il plus rien désormais à jouer, il nous raconte ce qui fut sa vie : Le Salvador, sa maman, la couture, le sexe des hommes, son arrivée en France, sa volonté d’avoir une paire de seins, ses rencontres artistiques d’importance (Marcel Maréchal, Copi), sa carrière de costumiers, d’acteur (par hasard, affirme-t-il mais le hasard existe-t-il ?), ses amours éphémères où, amoureux chronique, l’on fait ce que l’on peut au risque d’attraper une bronchite. Avec pour principe ancré « d’être fidèle à soi-même ». Il chante aussi, les chansons de ces chanteuses réalistes, pierreuses que l’on n’écoute plus, fantômes devenues elles-aussi et auxquelles il rend un bel hommage. Les Renée Passeur, Lys Gauty et consœurs… un répertoire à pleurer où la cristallisation amoureuse est un échec toujours recommencé, et qu’il sublime, tout simplement. Hommage aussi aux auteurs de ces chansons, Bernard Dimey ou encore Henri Salvador… qui n’est que révérence pour une langue française aimée qu’il rend profondément vivante. Raoul Fernandez est un conteur, un vrai. Sa vie, c’est du théâtre sans esbrouffe qui l’émerveille encore. Mais ce qu’il dit du théâtre en général est une profession de foi ; « sans le théâtre une société meurt ». Et lui Raoul, sans le théâtre mourrait il aussi ?
Pas pour rien que Minyana lui offre ce deuxième écrin – à l’initiative encore de Marcial Di Fonzo Bo et après Portrait de Raoul en 2018 – ce texte tout de pudeur et franc du collier. On sait combien Philippe Minyana a cet art singulier de faire de vies en apparence minuscules des épopées intimes, ce qui est en aucun cas contradictoire. Un attachement, une attention aux vies singulières qu’il transcende par l’écriture, une écriture minutieuse, ciselée et lumineuse qui sait porter avec justesse le poids d’une humanité. Une excellence aussi dans l’art du portrait comme autant de délicates miniatures. La vie de Raoul Fernandez, cette capacité unique de transfigurer malgré-lui le réel, avec le verbe en sautoir, ne pouvait que l’inspirer. Tuer Raoul dans ce récit n’est en aucun cas criminel. Il y a beaucoup de fantômes dans l’œuvre de Philippe Minyana. Eux-seuls, flottant au-dessus de leur passé, sont capables de jauger une vie à l’aune de leur vécue, une vue d’en-haut en quelque sorte.
Mais la question qui traverse ce spectacle dépasse Raoul Fernandez lui-même. Que reste-t-il au final d’une création, par essence éphémère ou d’un acteur quand il n’est plus, la mort ayant frappé les trois-coups ? L’art vivant, l’art d’être vivant, ne tient-il qu’à la mémoire faillible, individuelle ou collective de ceux qui le traversent, acteurs et spectateurs ? N’y a-t-il plus que la servante pour éclairer un plateau vide quand la représentation est terminée où celui-ci est-il hanté pour toujours par ceux qui le foulèrent, cœurs battant de toute création ? Que restera-t-il Raoul Fernandez ? Et de Philippe Minyana ? De cette chronique même ? Un chapeau emplumé dans une loge, quelques pages dans une bibliothèque ou le néant ? A toutes ces questions, ni Raoul Fernandez, ni Philippe Minyana ne répondent. Le théâtre est aussi une affaire de présent, de présence, sur lequel, c’est vrai, veillent quelques fantômes. Raoul Fernandez, lui, pour notre plus grand bonheur, n’est pas encore mort et c’est très bien, et c’est tant mieux.
© Pascal Gely
Il s’en va, portrait de Raoul (suite), de Philippe Minyana
Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo
Avec : Raoul Fernandez
Musique : Nicolas Olivier (piano), Pierre Fruchard (guitare)
Arrangement : Etienne Bonhomme
Du 6 au 18 octobre 2025 à 19h30
Samedi à 16h30. Relâche du 9 au 12 octobre
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières
75020 Paris
Réservations : 01 83 75 55 70
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