À l'affiche, Critiques // « Il était une fois (complétement) à l’Ouest », de Alma de Villalobos et Nicolas Kern, au Théâtre Dejazet

« Il était une fois (complétement) à l’Ouest », de Alma de Villalobos et Nicolas Kern, au Théâtre Dejazet

Fév 04, 2015 | Commentaires fermés sur « Il était une fois (complétement) à l’Ouest », de Alma de Villalobos et Nicolas Kern, au Théâtre Dejazet

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Jubilatoire ! Des hurlements de rire qui cascadent du Paradis à l’orchestre, des mains rouges et douloureuses d’avoir tant applaudi et des visages hilares aux yeux humides d’avoir tant pleuré de rire… Les Caramels Fous sont de retour et transforment l’écrin du théâtre Dejazet en saloon, Le Crazy Pony – tout un programme – pour une conquête de l’Ouest, un western complétement fou, absolument loufoque et résolument engagé, comme toujours.

Voilà plus de trente ans que cette compagnie « amateur » mais qui s’entoure d’une équipe artistique professionnelle, existe et c’est un miracle de voir combien celle-ci a su évoluer en gardant le même cap, la même folie, la même générosité, su capter un nouveau public sans jamais se départir de ce qui fait son exigence et sa qualité. Son fondateur Michel Heim vogue vers d’autres aventures mais ce qu’il a insufflé perdure, ce ton d’impertinence, cet humour homo, camp et queer, l’autodérision maniée avec talent et panache qui se joue des clichés qu’elle retourne effrontément et qui vous gifle sec, vous cingle de sa joyeuse lucidité. Parce que sous le fard et les guêpières des danseuses de saloon, les shaps ajustés de ces fringants garçons vachers, il y a de sacrés mecs couillus qui restent attachés à dénoncer toutes formes de discriminations – sans jamais exclure quiconque – tout obscurantisme, toute idéologie nauséeuse, tout parangons d’une France rance. L’affirmation de leur identité, leur fierté d’être, leur générosité rigolarde, le rire et le talent sont leur unique arme, laquelle ne rate jamais sa cible. Pan, dans le mille Emile, et foutre que ça fait du bien…

Il était une fois dans l’Ouest, un saloon. Des girls chastes, sauf une, qui lèvent haut la jambe, une meneuse de revue, des garçons vachers, dont l’un rêve d’être danseuse, un croque-mort ne creusant jamais assez profond, une indienne au passé douloureux, une jeune fille rêveuse, une revenante protectrice, un chercheur d’or, un sheriff manchot, son adjoint, un méchant bandit et la vieille Ma. L’Ouest, le grand, en technicolor et en cinémascope. Enfin presque. Et surgit un jour un garçon coiffeur à la recherche de ses racines… Tout ce petit monde va vite être bouleversé et bientôt des vérités enfouies, des secrets inavouables vont éclater au sein de cette communauté. Méfions-nous des apparences…

C’est une comédie musicale troussée avec un incroyable talent, jouée, chantée et dansée avec un formidable allant. Comme toujours avec les Caramels Fous, des standards de la chanson – ses scies qui ne vous lâchent guère et qui sont le ciment d’une culture populaire ou identitaire – sont détournés, revisités avec bonheur et vous balancent de sacrés messages. Et font d’une ritournelle innocente une chanson engagée. Avec ça, une qualité d’écriture où les jeux de mots abondent sans être jamais gratuits, des dialogues qui font mouche. Antony Puiraveaud, qui écrit pour la première fois pour les Caramels, mélange les genres avec une habileté déconcertante. Entre légèreté et noirceur, il manie les paradoxes avec un humour détonnant. Avec une fausse légèreté, un humour sans faille et une folie débordante, il parle de tolérance et c’est tout un pan de l’actualité récente qui vous saute à la figure. Les combats féministes, la lutte pour les droits des homosexuels et le mariage, le gender… Plonger un garçon coiffeur dans un monde tostéroné, ça peut sans doute paraître cliché mais c’est volontairement grossir le trait pour mieux pointer du doigt les discriminations, l’intolérance et justement dénoncer le fatras de clichés qui encombrent nos tenants de la vertu, de l’ordre et de la morale… Antony Puiraveaud s’amuse de tout ça et réserve pas mal de surprises dans ce western décalé et burlesque. Surtout la fin, l’instant de la révélation, complétement inattendue qui voit la salle soudain suspendue et d’un seul élan se demander : « Il n’a pas osé ?! » avant d’éclater d’un énorme éclat de rire… La troupe s’en donne à cœur joie. Ça ne chante pas toujours bien juste, ça ne danse pas toujours bien en rythme, mais on s’en fout. Les chorégraphies d’Anna de Villalobos et la direction musicale de Nicolas Kern sont de haute tenue et même franchement épatantes, qui embarquent nos machos de cow-boys et nos girls de saloon dans une vitalité et un dynamisme sans faille. Et nous avec. C’est inventif, plein de trouvailles décalées, d’anachronismes cinglés. C’est fait d’envolées et de ruptures où l’émotion soudain affleure avant d’être vite balayée par des rebondissements insensés. C’est une chevauchée, un galop infernal. L’impression d’une cavalcade à cru sur un poney sans harnais ni brides. Chacun des personnages est dessiné avec beaucoup d’attention mais réserve autant de surprises que le récit qui se joue des archétypes et des situations attendues. On ne sait bientôt plus très bien à quoi s’attendre dans ce western digne d’Helzapoppin. Et l’on se perd avec bonheur et avec un immense éclat de rire dans cet Ouest improbable qui voit les frontières du genre brouillées. Et l’on se dit que toutes les conquêtes ne sont pas terminées : reste encore celle de nos libertés individuelles redevenues fragiles. En vrai, Les Caramels Fous sont de vrais durs.

Il était une fois (complétement) à l’Ouest
Livret Antony Puiraveaud
Mise en scène et scénographie, Alma de Villalobos et Nicolas Kern
Direction musicale, Nicolas Kern,
Chorégraphie, Alma de Villalobos
Costumes, Guillaume Atwood assisté de Véronique Boisel
Régie, Max Lefebvre et Rose Giraud
Lumières, Wilfried Shick
Décors, Thierry Quessada
Son, Yann Lemetre assisté d’Antony Desvergnes
Arrangements musicaux, Nicolas Kern, Pierre Jeannot, Robert Suhas
Avec, Laury André, Vincent baillet, Gaël Cesbron, Jérôme Cuvilliez, Julien Dalex, Arnaud Dugué, Thierry Durot, François Dussillol-Godar, Jérôme Guérin, Laurent Giordanengo, Alexis Haouadeg, Laurent Lapeyre, Sébastien Ledoux, Jérôme Lhommeau, Férérico Morisot, Miko Pouradier, Laurent Plessi, Franck Quelen, Thierry Quessada, Frédéric Renaud, Jacques Rosé, Xavier Sibuet

Jusqu’au 14 février 2015
Du jeudi au samedi, 20h30,

Théâtre Dejazet
41, boulevard du Temple – 75003 Paris
Réservations 01 48 87 52 55

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