© Lucie Jansch
f article de Denis Sanglard
Un monologue pour deux interprétations contradictoires en miroir. Longue logorrhée hallucinée, entre cris et murmure, paroles et chants, collage de phrases et de situations hétérogènes où peine à se dessiner une trame, non-sens absolu et coq à l’âne cher au surréalisme, étoffe déchirée de rêves éveillés et fulgurants et d’une réalité sans doute fantasmée, texte impossible à résumer I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating fut créé voilà quarante ans par Robert Wilson et Lucinda Childs. Repris aujourd’hui par deux nouveaux interprètes, et pas des moindres, Julie Shanahan et Christopher Nell. Une transmission qui aiguise la curiosité au regard de ces deux-là au parcours singulier. Entre expressionnisme et minimalisme, abstraction et incarnation, une stylisation des corps jusque dans le mouvement, où l’on retrouve la patte de Robert Wilson et Lucinda Childs, non dans une synthèse mais plutôt dans une confrontation à partir d’un même matériau, dans une scénographie plastique dépouillée, austère, que sculpte comme toujours, l’ombre et la lumière. Bref rien de bien neuf, en somme, pour qui connaît l’univers wilsonien rabâché depuis, jusqu’à l’usure. Et malgré ces deux nouveaux interprètes, aussi magnétiques et engagés l’un que l’autre, pour cette reprise de rôle périlleuse qui tient de la performance, quelque chose ne fonctionne pas, ou plus si l’on se réfère au contexte original de sa création, une révolution en soi après Le regard du sourd ou Einstein on the Beach dans la volonté de ne pas réitérer. Une telle sophistication, dans sa précision maniaque, une telle volonté d’abstraction jusque dans les corps et les personnages, évide tout sens, aplatie l’œuvre qui se dégonfle très vite, arase tout relief et dilue au bout du compte l’émotion attendue. C’est beau, et rien de plus. La chose est glaciale et vaine. Se dégage un sentiment de vacuité, d’une création creuse, sans résonance, que même l’attention soutenue qu’exige ce texte ardu et hypnotique, auquel on pourrait se raccrocher, ne suffit pas à combler. Les mouvements aussi précis et minutieux soient-ils n’expriment rien d’autre qu’une simple posture appliquée et ne révèle rien des personnages, ici simples figures, pantins au maquillage expressionniste et blafard, signature usuelle de Robert Wilson. Certes la difficulté réside en ce qu’il n’y a pas de rôle en soit mais une fragmentation d’états, de situations brèves et dépourvues de liens entre elles, qui s’enchaînent sans temps mort. Mais cependant tout reste en surface, poli, abrasé par une scénographie qui exige la soumission, la dilution de l’interprète. Bob Wilson reste avant tout un plasticien. Et il est vrai, au jeu des comparaisons qui ne sont jamais raison, que la partition de Lucinda Childs s’en sort sans doute mieux. Là où le corps est en jeu, la danse (réduite ici à de simples impulsions parfois juste ébauchées) dépasse et résiste quelque peu à la scénographie imposée. Incontestablement, malgré nos réserves, Julie Shanahan, interprète emblématique du Tanztheater de Pina Bausch, s’impose malgré tout. Où est-ce la rémanence de son histoire avec le Tanztheater, de son absolue liberté, qui persiste en nous dans ce qu’elle offre au public malgré ce cadre qui la contraint et la bride ?
© Lucie Jansch
I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating : texte, conception et mise en scène de Robert Wilson
Co-mise en scène de Lucinda Childs
Avec : Christopher Nell et Julie Shanahan
Metteur en scène associé : Charles Chemin
Costumes : Carlos Soto
Collaboration à la scénographie : Annick Lavallée-Benny
Collaboration aux lumières : Marcello Lumaca
Design sonore : Nick Sagar
Création maquillage : Manuela Halligan
Collaboration à la création des maquillages : Véronique Pfluger
Assistant aux costumes : Emeric Lebourhis
Assistante à la scénographie : Chloé Bellemère
Assistante du metteur en scène associé : Agathe Vidal
Musique : Johann Sebastian Bach, Franz Schubert, Jean-Baptiste Lully, Michael Galasso
Réalisation vidéo 1977 : Greta Wing Miller
Photographie : Lucie Jansch
Assistant personnels de Robert Wilson Philipp Bauer, Eli Troen
Réalisation des costumes : FBG2211
Construction des décors : Atelier Espace et Compagnie Vénissieux
Perruque : Noï Karunayadhaj
Traduction et surtitres : Fabrice Scott
Du 20 septembre au 23 octobre 2021
15 h / 20 h selon les jours de représentation
Théâtre de la Ville / Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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