© Li Yinjun
ƒƒ article de Denis Sanglard
Soixante ans dans la philosophie chinoise est l’âge de la renaissance, l’ouverture d’un nouveau cycle. La danseuse Wen Hui, née en 1960, fondatrice avec le documentariste Wu Wenguang, de la première compagnie de danse chinoise indépendante, Le living Dance Studio, interroge la condition féminine en Chine. Du mouvement « femmes nouvelles » porté par les protagonistes du cinéma chinois des années 1930 en passant par la création de République Populaire de 1949 (« Les femmes portent la moitié du ciel. » Mao Zedong.) à leur quasi effacement aujourd’hui. Danse documentaire, on peut dire ça, où le corps de Wen Hui porte le poids de cette histoire. Mais à cette histoire collective, au passé, elle mêle sa propre histoire et celle des femmes de sa famille. A l’intime répond alors en écho la grande Histoire. Mêlant images d’archives personnelles, documentaires contemporains et films anciens à la performance scénique – pratique usuelle du Living Danse studio – c’est une histoire de corps engagés vers une émancipation future et un constat amer d’échec sur le présent. De l’exposition du « drame social », expression de la crise qui traversait la Chine des années 1930, dans le cinéma progressiste comme une volonté d’égalité des droits, une culture plus moderne et une ouverture du pays vers l’occident où la femme, les personnages féminins, devient le vecteur et la représentation, par leurs corps volontairement exposés et transformés, de ce changement et de cette lutte contre un patriarcat tenace, à la relégation actuelle dans l’ombre des mouvements féministes désormais invisibilisés, c’est une réalité que Wen Hui expose crûment. Son corps devient alors ce champ de bataille et le point focal d’une histoire tant personnelle que collective. A cet égard son expérience propre, raconté sans fard, tel son avortement – d’une violence sans nom de par ses conditions – ancre plus fortement dans la réalité contemporaine cette création engagée au regard d’un passé désormais occulté. La danse de Wen Hui, puisqu’il s’agit aussi et surtout de danse, est par contraste d’une grande retenue, d’une douceur ténue et délicate. Bras tendus et souples, dessinant dans l’espace quelques arabesques mais un corps arc-bouté en résistance sans doute à l’oppression de sa condition. Rien de spectaculaire mais une infinie délicatesse. Incrustée dans les images projetées ou des informations données (chiffres et statistiques dans leur brutalité sèche) et sans rien occulter de leur violence et de leur réalité tangible, cette danse leur donne leur poids de chair sensible nimbé de poésie… Et évite de même l’écueil possible de tout didactisme dans le traitement singulier de cette danse-documentaire. Ce corps-là, à vif, est mémoriel, porte les strates d’une histoire mise à nue sur le plateau et dont il est le dépositaire. Il n’y a qu’un moment de déchaînement, une danse libre de toutes contraintes, une danse brute – sur People are the power de Patty Smith, pas un hasard non – et c’est tout à coup un orage, une rage qui explose, une tension qui se relâche brutalement devant une expérience douloureuse, une rupture amoureuse et professionnelle, mais qui renvoie au-delà de ce fait et de sa condition d’artiste à sa condition de femme, de toutes les femmes. C’est une création fortement engagée de par son acuité, voire politique, qu’il est indispensable de découvrir pour qu’enfin les femmes portent de nouveau la moitié du ciel.
© Nora Houguenade
I am 60, chorégraphie et danse Wen Hui
Dramaturgie et conseil Zhang Zhen
Musique Wen Luyan
Vidéo Rémi Crépeau, Zhou Xueping
Lumière et régie générale Romain de Lagarde
Du 15 au 18 octobre 2021
A 20 h
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses
75018 Paris
Réservations 01 42 74 22 27
www.theatredelaville.com
Festival d’automne à Paris
Réservations 01 53 45 17 17
www.festival-automne.com
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