© Thanh-Ha Bui
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Un monticule rougeoyant, lit de braise sous la cendre. Dessus, cuisses et jambes blanches, comme accroupies. Je pense : quelques traits de craie d’un Degas croquant la toilette d’une danseuse. L’image fugitive s’efface dans l’envahissement d’un inextinguible cri étouffé. Le crépitement d’une respiration sonore et crachotante emplit tout, me projette dans de lointaines steppes où le vent parle aux humains. Si le son délie la pensée, la contemplation d’un visage gommé par l’obscurité dont ne resteraient qu’une bouche ouverte et des yeux rougeoyant du même enfer que celui qui brûle sous ce corps, sidère. Ce qui a lieu suinte l’étrangeté par ces reflets contredisant les lois de l’optique et de la physique. Sur naturel. Les petits miroirs obstruant sur ce visage la bouche, faisant lunettes, troublent, trouent le regard du spectateur. Comme pour la ventriloquie dans le champ du sonore, ils instillent dans le champ du visible une présence fantôme, une insoluble contradiction. De l’être et du paraître. De l’intériorité et de l’extériorité. Flora Détraz est une magicienne interrogeant par ses dispositifs l’illusion du vivant. HURLULA s’annonce au croisement du hurlement et du ululement, sans doute faudrait-il aussi y voir une réminiscence de la Horla tant la chorégraphe travaille à un certain fantastique, qui résulterait d’un glissement du réel comme deux calques se décalant l’un par rapport à l’autre. Un déphasage. On est toujours au bord de quelque chose sans que cela soit raccord : un espace de doute dans nos représentations, un écart dans l’écoute, jouent de la fin des certitudes, nous font entrer dans les interstices d’un monde en transformation. Flora Détraz est une combinatoire presque lucrécienne d’atomes invisibles, s’assemblant, se reconstituant, par des concrétions, des projections, dans une suite d’apparitions : d’une chamane à une chanteuse de rock, en passant par une diseuse de bonne aventure, des oiseaux, et bien d’autres formes encore. Se glissant dans d’autres empreintes spectaculaires, dans d’autres manières d’être vivant, elle se révèle caméléon quand bien même se dessine une singularité et une acuité au fil de ses transformations. Si la scénographie de Nadia Lauro, inspirée des sols islandais, a tendance à refermer la performance par moment sur elle-même comme un nombril trop serré, elle dégage cette puissance symbolique faisant rimer les entrailles terrestres avec celles de Flora Détraz. Accompagnée de Claire Mahieux (larsens et conception son) et de l’impassible Lê Quan Ninh (percussions), HURLULA a la roublardise d’une chanson de geste où l’humain tend à se dissoudre dans le non humain. Accrochée aux entrailles de la Terre, œuvrant à une poésie qui invite à regarder ce qui a lieu sans en rien préjuger, Flora Détraz ne laisse pas de nous surprendre.
© Thanh-Ha Bui
HURLULA, une création de Flora Détraz
Chorégraphie et interprétation : Flora Détraz
Musique : Lê Quan Ninh, Claire Mahieux et Flora Détraz
Percussions : Lê Quan Ninh
Larsens et conception son : Claire Mahieux
Conception scénographie : Nadia Lauro
Conception et régie lumière : Arthur Gueydan
Conception costumes : Flora Détraz et Nadia Lauro
Regard extérieur : Agnès Potié
Régie plateau : Tatiana Carret
Réalisation scénographie : Nadia Lauro, Marie Mareca, Nina Michel
Réalisation costumes : Chloé Courcelle
Durée : 1h20
Du 11 au 13 octobre 2023 à 20h
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou
75004 Paris
Tél : 01 44 78 12 33
Avec le Festival d’Automne
En tournée :
Le 27 janvier 2024
Teatro Viriato
Viseu, Portugal
Les 8 et 9 mars 2024
Boom’Structur
Cour des Trois Coquins
Clermont-Ferrand
Les 13 et 14 mars 2024
Montpellier Danse
Montpellier
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