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Hôtel Feydeau d’après Georges Feydeau, mise en scène de Georges Lavaudant, Odéon

Jan 08, 2017 | Commentaires fermés sur Hôtel Feydeau d’après Georges Feydeau, mise en scène de Georges Lavaudant, Odéon

ƒ Article de Corinne François-Denève

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© Thierry Depagne

Soit donc le troisième Feydeau, celui de la fin. Le plus désespéré, celui qui a renoncé aux grandes machines sophistiquées pour écrire des farces cruelles, illustrations amères de la trajectoire qui mène du « mariage au divorce ». On purge Bébé, Feu la mère de Madame, Léonie est en avance, Mais n’te promène donc pas toute nue : ce sont généralement ces quatre pièces que l’on connaît le mieux, et que l’on monte le plus souvent. Didier Bezace, Alain Françon ou Laurent Laffargue s’y étaient déjà frottés. Georges Lavaudant a choisi d’ajouter une pièce moins connue, d’ailleurs inachevée, Cent millions qui tombent : cette pièce n’apporte d’ailleurs pas grand chose, et on ne s’étonnera pas que Lavaudant l’oublie dans l’entretien qui ouvre le programme du théâtre, pensant seulement à elle comme à un « prologue ». Ces cinq pièces, Lavaudant les a en tout cas décortiquées et remontées, pour en faire son « Hôtel Feydeau » – un hôtel à mi-chemin, donc, entre l’encore grandiose Hôtel du libre échange de la bibliographie et le fatal « Hôtel Terminus » de la biographie.

Depuis que l’on a découvert que le « comique » Feydeau avait ses zones de noirceur (grâce en particulier aux travaux de Violaine Heyraud) (et on s’étonne que le programme pose encore la question de la légitimité de « ce genre d’auteur » dans le théâtre public !), ces pièces servent souvent de laboratoire à un jeu théâtral axé sur du « mécanique plaqué sur du vivant » et une hystérisation des comportements. Cet Hôtel Feydeau ne fait pas exception à la règle : on y crie et on y court plus que de raison, hors de toute raison. On s’accroche au(x) rideau(x), puis on finit accablés, catatoniques (on parle ici des personnages).

Dans le montage de Lavaudant, le lien entre les diverses pièces est ténu : la soumission des domestiques à leur maître, ou la querelle éternelle des couples, ou, comme le metteur en scène l’affirme lui-même, le pouvoir. Lavaudant a renoncé à une certaine facilité : pas d’objet théâtral, ainsi, qui aurait pu assurer une continuité – le pot de chambre d’On purge Bébé ou celui de Léonie est en avance. Pour assurer les transitions, le metteur en scène a au contraire fait le choix de numéros dansés qui font penser que son Hôtel Feydeau est sis sur la 42e avenue. Cet hôtel a aussi, visiblement, été décoré par Farrow and Ball : de merveilleuses couleurs ont été choisies pour les murs, ou les fauteuils, et le spectateur peut laisser à loisir sa rétine errer sur ce nuancier au délicat chromatisme. Les costumes sont également d’une splendeur sans égale : robe de chambre à savantes épaulettes pour la maîtresse-femme, nuisette à ruché pour la future accouchée…

Le fait que ces pièces, par ailleurs si connues, aient été tronçonnées, et soient débitées dans un ordre finalement assez aléatoire a parfois des effets pervers. Ainsi, le plaisir du texte un peu suspendu, on attend la portion prochaine avec un peu d’appréhension, se demandant où le monteur a décidé de couper. Le sentiment est le même lorsqu’un autre bout de pièce fait son apparition, alors qu’on pensait qu’on en avait fait l’économie complète. Ce n’est pas seulement qu’il manque, pour les connaisseurs, « des passages extraordinaires », comme le concède Lavaudant. C’est que la mécanique comique, si fine et si précise chez Feydeau, se voit irrémédiablement troublée. Le rythme, fait d’accélérations, de décélérations, et de climax savamment orchestrés dans les pièces originales fait ici entendre un tout autre son. Hôtel Feydeau, poussif en ses débuts, prend enfin de l’ampleur, mais doit se relancer sans cesse, comme le moteur d’une auto du temps jadis, que la manivelle doit sans cesse ranimer. Il est vrai que nous avons vu la pièce à sa première, et que ces vieilles mécaniques de précision sont lentes à apprivoiser.

Certes, les mots de Feydeau font toujours mouche, de temps à autre, mais la visite des pièces de cet Hôtel est parfois fastidieuse. Elle est sans doute à conseiller à des jeunes gens qui en seraient à leur premier voyage. Les plus vieux hésitent (la couleur de ce fauteuil serait-elle « dayroom yellom » ou « dorset cream » ?) et attendent que quelque chose se passe. Et parfois quelque chose se passe. Arrive Grace Seri, qui campe une Julie noire (et tant mieux ! et pourquoi ne le serait-elle pas ?). Arrive Astrid Bas, son abattage et ses jambes interminables. Arrive Manuel Le Lièvre, son Toto et ses culottes courtes. Et arrive, évidemment, André Marcon. Sa seule entrée, en Louis XIV de retour du Bal des Quat’z’arts, vaut bien une étoile pour cet hôtel.

Hôtel Feydeau d’après Georges Feydeau : Feu la mère de madame, On purge bébé !, Léonie est en avance, Mais n’te promène donc pas toute nue!, Cent millions qui tombent

Mise en scène, adaptation, lumière : Georges Lavaudant
dramaturgie : Daniel Loayza
décor, costumes : Jean-Pierre Vergier
son : Jean-Louis Imbert
Maquillage, Coiffure, Perruque : Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
chorégraphie : Francis Viet
collaborateur artistique : Moïse Touré
assistante à la mise en scène : Fani Carenco
assistante aux costumes : Géraldine Ingremeau
régisseur général : cie LG Théâtre Laurent Cauvain
administrateur : cie LG Théâtre Elias Oziel
chargée de production : cie LG Théâtre Juliette Augy-Bonnaud

avec Gilles Arbona, Astrid Bas, Lou Chauvain, Benoit Hamon, Manuel Le Lièvre, André Marcon, Grace Seri, Tatiana Spivakova
Théâtre de l’Odéon

L’Odéon Théâtre
Place de l’Odéon
75006 Paris

du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche exceptionnelle le dimanche 8 janvier
Réservation : 01 44 85 40 40
Durée : environ 1 h 30
En tournée :

La Comète, scène nationale , Châlons-en-Champagne
Lundi 27 Février 2017 / 20h30
Mardi 28 Février 2017 / 20h30

Théâtre de l’Archipel, scène nationale , Perpignan
Jeudi 5 Octobre 2017 / 20h30
Vendredi 6 Octobre 2017 / 20h30
Samedi 7 Octobre 2017 / 20h30

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