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Homo Idiome, performance de Fanny Adler et Vincent Madame, au MAC VAL, Festival Jerk Off

Sep 21, 2023 | Commentaires fermés sur Homo Idiome, performance de Fanny Adler et Vincent Madame, au MAC VAL, Festival Jerk Off

© Véronique Hubert

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Je me suis fait prendre. Au dépourvu. L’effet de surprise était saillant. Debout, Fanny Adler et Vincent Madame devant des micros sur pied débitent à tour de rôle, sur fond de techno que Vincent Madame gère depuis un ordi à portée de main, des petites annonces à caractère sexuel. Le corpus (jamais ce terme ne m’aura semblé plus approprié) des textes turgescents est tiré des premiers Gai Pied de l’année 1979 et d’autres magazines homos et lesbiens de la même période. Homo Idiome surprend d’autant plus le novice que ces textes homoérotiques, haïkus de fantasme XXL, sont psalmodiés à la manière d’un texte religieux et amplifiés avec un léger effet cathédrale. Quand on sait que nos deux performers réalisèrent cet oratorio en 2012, soit un peu moins d’un an avant la promulgation de la loi du mariage pour tous, avec tout le cortège rance et homophobe qui l’avait précédée, on se dit que ce choix stylistique était aussi particulièrement politique et provocateur. Assister à cette performance quelque dix ans plus tard ne la rend pas moins aigüe ni savoureuse ou émouvante par ce qu’elle dévoile d’une histoire déjà passée, mais toute proche. Comme si un peuple d’âme mortes, longtemps refoulé dans l’histoire nationale, émergeait de cette fresque vocale, de ce poème en prose qui fait rimer les slips et les sexes. Tout est désir, tout n’est qu’attente, comme si après des années lumières ces voix inaudibles nous parvenaient enfin. Vincent Madame a des intonations de Dominique A, et Fanny Adler se rapproche de Françoise Hardy, c’est dire leur élégance à cet office. Le grand écart entre la teneur érotique et sexuelle des textes, fantasmatique absolue, et la tenue droite et correcte de nos deux prédicateurs est à l’aune de celui qui relie cochoncetés et élocution éthérée. L’habit ne fait pas le moine, certes, mais cet habillage pieux en voix montant au ciel pour annoncer grand et fort les désirs les plus inavouables en société effectue bien sa fonction d’inversion symbolique, et exauce cette poésie vernaculaire (dont une réédition est absolument nécessaire) en indépassable bréviaire de la religion du cul. Homo Idiome donne voix au chapitre à ceux qui non seulement étaient invisibilisés, mais dont les désirs devaient être tus sous peine de poursuite pénale. Si le crime de sodomie disparaît du code pénal dès 1791, les homosexuels sont condamnés pour le motif d’outrage aux bonnes mœurs jusqu’en 1982. Homo Idiome effectue cette réparation symbolique en outrageant avec un malin plaisir les suce dites bonnes mœurs.

Grand et soudain débondement de tout ce qui avait été trop longtemps retenu, ces publications pionnières dans le Gai Pied ont la candeur et la fureur des premières éjaculations nocturnes. Les petites annonces se font annonciation, car les mots précèdent toujours les êtres et leur apparition (et l’on veut bien volontiers faire ici référence à un livre religieux) : ces petites annonces ainsi proférées mettent en perspective cette formation du sujet, ici sexuel, par la mise en scène et en branle des mots. Cette construction de représentations, qu’Homo Idiome rend éminemment palpable  (courrez voir l’exposition Over the rainbow, une autre histoire des sexualités au Centre Pompidou), rappelle aussi comment elles consistent en des réductions, condensations à quelques mots qui forment leur cosmogonie du sexe, propre à chaque époque: macho motard jean cuir… en ces années-là…

Ces mots isolés, comptés, racontent l’esseulement, mais grâce à Fanny Adler et Vincent Madame, leurs solitudes se mettent à former un chœur, créent une communauté. Dans la caresse des voix, comme autant de corps frôlés dans l’obscurité d’une backroom, dans la réverbération des mots, répétant le besoin, suintant le désir, Homo Idiome offre avec ses petites annonces, qui sont autant de prières oubliées, à entendre d’autres vies que la mienne, à égalité des nôtres.

 

© Véronique Hubert

 

 

Homo Idiome, performance de Fanny Adler et Vincent Madame

Durée : 30 minutes

Vu le jeudi 14 septembre 2023 à 20h

MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne

Place de la Libération

94400 Vitry-sur-Seine

Réservations : 01 43 91 64 20

https://www.macval.fr/

 

Dans le cadre du Festival Jerk Off

 

 

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