Critiques, Evènements, Festivals // Histoire(s) décoloniale(s) #Mulunesh de Betty Tchomanga, au Théâtre des Malassis, à Bagnolet, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Histoire(s) décoloniale(s) #Mulunesh de Betty Tchomanga, au Théâtre des Malassis, à Bagnolet, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Juin 05, 2024 | Commentaires fermés sur Histoire(s) décoloniale(s) #Mulunesh de Betty Tchomanga, au Théâtre des Malassis, à Bagnolet, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

© Grégoire Perrier

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Un miroir suspendu à hauteur de visage. Mulunesh nous tourne le dos et contemple son reflet, et, comme le prédisent les lois de l’optique, dévisage nos propres visages lorsqu’elle nous offre son image. Qu’y a-t-il entre un visage et son reflet, qu’y a-t-il entre un regard et une image ? Dans cet espace infime qui les sépare et les relie réside la possibilité d’une énonciation. Les mots résonnent dans l’espace, pré-enregistrés, et se déposent sur le corps de Mulunesh, et sur nos attendus comme une manne libératrice. Short satiné et body noirs, baskets dorées, le corps boxe les préjugés, explore l’instant du geste comme un contrepied aux préjugés rances et tenaces. Je suis Abyssinia. Je suis le trou de mémoire, je suis l’oubli, je suis le silence. Mulunesh conjugue le verbe être à la première personne, au présent de son histoire, à l’orthogonal de l’Histoire. Non pas une définition forclose, comme un pré carré que l’on délimiterait une fois pour toute, mais une litanie de l’être en perpétuelle croissance, en déplacements, en destins passés ou à venir. Une déclaration de l’être, lumineuse et brillante, quand l’assignation n’est qu’ombre et mauvais œil.

#Mulunesh est un chapitre d’une série chorégraphique, Histoire(s) décoloniale(s), conçue par Betty Tchomanga qui en comprend actuellement quatre. #Mulunesh est d’abord une réappropriation dramaturgique, qui n’est pas sans rappeler les performances d’Act-Up, par cette stratégie de revendication haut et fort, poétique et politique. La construction du je sous le regard des autres, c’est à cela que l’on assiste concomitamment à la déconstruction de nos regards sous l’affirmation énoncée du je. Le je est une aire de jeu, un champ de bataille symbolique, où se corrèlent histoire personnelle et représentation de l’Histoire. Ce chapitre des Histoire(s) décoloniale(s) de Betty Tchomanga, performé devant des classes de collège et lycée et ce soir-là ouvert également au tout public dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, est percutant comme un uppercut. Y concourt en premier lieu Mulunesh, présence vibrante et nerveuse comme une plume inscrivant, enregistrant, cette relation écrite dans l’instant du plateau avec un public, emplissant l’espace et le temps d’une densité rare, invoquant des mémoires immémoriales et les récits ineffables des corps encerclés. Adélaïde Desseauve, alias Mulunesh, est née en Éthiopie et fut adoptée enfant par une famille française. Filiation et adoption dessinent ici les contours aveugles et paradoxaux des représentations racialisées dans lesquelles nous tâtonnons encore, pris dans les rets de cette histoire qui continue à infuser son mal. Son parcours agit comme un décentrement et une inversion des présupposés. Le retournement d’un masque.

La fraise élisabéthaine d’une aveuglante blancheur est pareille au cercle de fer porté en fond de cale, elle est une laisse qui ceinture le port de la tête, elle est le plateau d’une tête coupée. Elle est cette blanchité assiégeante. Convoquer la figure de la reine de Saba, c’est alors susciter un imaginaire autre, capable de regénérer une mémoire endolorie et remobiliser une histoire effacée par la page blanchie de la colonisation. Si cela passe par les mots, cela doit également avoir lieu dans les corps, territoires de réflexions et oriflammes des luttes. D’une chorégraphie fragmentant l’organisation musculaire, comme un rhizome ou une constellation de volontés, tirant son origine d’une danse traditionnelle d’Éthiopie, l’Eskista, au K.R.U.M.P (Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise), danse urbaine de résistance, Mulunesh et Betty Tchomanga nous invitent à un atelier de la pensée, à une mise en demeure des mots et à une révolution des corps, toujours battants. Où l’on se déprend, où l’on apprend, où l’on comprend. On a hâte de découvrir la totalité des chapitres de ces Histoire(s) décoloniale(s).

 

Histoire(s) décoloniale(s) #Mulunesh, conception de Betty Tchomanga

Collaboration artistique et interprétation : Adélaïde Desseauve alias Mulunesh

Création sonore : Stéphane Monteiro

Costumes : Marino Marchand en collaboration avec Betty Tchomanga

Durée : 60 minutes

 

Le 27 mai 2024 à 19h

Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Théâtre des Malassis

3 rue Julian Grimaud

93170 Bagnolet

Tél : 01 43 60 87 03

 

 

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