À l'affiche, Critiques // « Histoire d’une vie » de Aharon Appelfeld mise en scène de Bernard Levy au théâtre 71 de Malakoff

« Histoire d’une vie » de Aharon Appelfeld mise en scène de Bernard Levy au théâtre 71 de Malakoff

Mar 13, 2015 | Commentaires fermés sur « Histoire d’une vie » de Aharon Appelfeld mise en scène de Bernard Levy au théâtre 71 de Malakoff

ƒƒ article d’Anna Grahm

histoire_malteOù commence la mémoire demande Aharon Appelfed. Il lui a fallu plusieurs vies avant de parvenir à l’âge d’homme. Et bien des combats avant d’être celui qu’il est devenu. L’un des plus grands écrivains israéliens. Dans son livre Histoire d’une vie il revient sur le long cheminement qui l’a mené à l’écriture.

Pour incarner ce récit impressionnant au théâtre, le metteur en scène Bernard Levy a choisi un acteur rare qui porte lui aussi plus d’un monde, et a conçu pour eux un espace abstrait qui élève de façon presque magnétique la réflexion de l’auteur et la nôtre.

Tout s’ébauche avec la voix rauque de Thierry Bosc, qui semble émerger du sommeil, qui claudique sur le souffle. Sa quête démarre dans une boite noire, au fond de laquelle il y a tant d’oublis. L’acteur grisonnant apparaît immobile et fragile dans le ventre de l’inconscient.

Cette boite le sépare de tout ce qu’il côtoie et le plonge dans l’inconnu. C’est le lieu du travail, « la chambre à soi », la terre de l’absence où germent tous les possibles. C’est l’endroit où la lumière et l’ombre se croisent, c’est l’espoir de rencontrer les chers disparus. C’est la crainte d’affronter ses démons. C’est le lit fertile de l’imagination. Le temps du silence, de l’aridité des abandons, des retours aux sources. Le moment pour lui de se rappeler de ses multiples apprentissages.

Prendre le risque d’entrer dans cette boite c’est prendre le risque de s’y enfermer, mais aussi et surtout c’est se donner la chance de retrouver ce qui était perdu. C’est revoir les ruines, patauger dans la boue, retrouver son enfance et les malheurs de la guerre. C’est arracher fragment après fragment ce qui ne semblait rien, sentir à nouveau sa main dans celle de son père, et pour toujours le regard de sa mère sur lui.

Pourtant il suffit de bien peu, pour que surgisse un souvenir. Une chaussure mouillée, une odeur moisie, un cri d’oiseau et en un éclair, peut refaire surface des régions désolées, des douleurs insoupçonnées. La mémoire a des racines profondément ancrées dans le corps. Les images enfouies en lui dansent sur les murs, des rideaux de lettres hébraïques tombent, liquides comme de la pluie, des reflets d’arbres se découpent sur l’eau, le vert des forêts de l’ancienne Europe serpentent autour de lui, épousent l’enveloppe de la boite, illuminent l’obscurité. Des pans entiers de textes sur lequel son esprit s’est formé flottent comme des cheveux, qu’une brise soulève. Son ombre projetée dans cette petite salle désormais vide vient lui rappeler la présence de ses anciens amis aux vies doubles comme luiqui l’ont tant aidé.

Un homme est une pelote de peurs et de faiblesses. Celui qui a traversé l’égoïsme et les bassesses du ghetto, éprouve encore au plus profond de lui, ces blessures secrètes. Et puisque les parois de la mémoire sont mouvantes, l’acteur/raconteur se fait changeant, se coule dans sa peau d’enfant, soudain frêle et délicat, puis mesure les traces des années qu’il a parcourues. Sans langue je suis semblable à une guerre, c’est grâce à l’étude acharnée de l’hébreu que le migrant qui a fui la Shoah trouve sa propre voix, retrouve son vieux désir de contempler.

C’est parce que le réfugié a trouvé une terre d’asile, qu’il a aimé sa langue comme une mère adoptive, qu’il a réussi à élaborer sa propre expression, c’est parce qu’il a travaillé, s’est adapté, qu’il a pu se transformer, qu’il a pu entreprendre sa reconstruction. Qu’il a fait du passé une source de vie. Une musique. Une œuvre d’art. Le style épuré du spectacle de Bernard Levy ouvre les portes du fantastique et permet aux esprits de vagabonder car oui décidément la littérature est un présent brûlant.

Histoire d’une vie 
D’après le livre de Aharon Appelfeld
Traduit par Valérie Zenatti
Adaptation Jean-Luc Vincent et Bernard Levy
Mise en scène de Bernard Levy
Avec Thierry Bosc

Du mardi 10 au jeudi 19 mars 2015
Mardi et vendredi à 20h30
Mercredi Jeudi et samedi à 19h30
Dimanche à 16h00

Théâtre 71 de Malakoff
3 place du 11 novembre – 92240 Malakoff
Réservation  01 55 48 91 00
www.theatre71.com

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