© Yang-Wang
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Dans la première partie, tout le talent d’Angelin Preljocaj éclate, entre classisme et modernité absolu. Angelin Preljocaj est un styliste pur, un grammairien inventif du mouvement, et déjà, et même, en 2001 (date de sa création) un style unique se confirmait. Helikopter est un hommage au compositeur Karlheinz Stockhausen, dont la partition musicale radicale, pour quatre hélicoptères et un quatuor à corde, innerve la chorégraphie d’une densité, d’une profondeur sans égales, poussant les corps au bout d’eux-mêmes, tandis qu’au sol les projections mouvantes du plasticien Holger Förterer, lignes, trous d’air, lettres et pales, s’accordent aux mouvements, se font et défont, comme une troisième partition. La force centrifuge et implosive de cette composition prégnante aurait pu écraser la danse, établir un rapport de force préjudiciable. Il n’en est rien. Angelin Preljocaj parvient à l’équilibre, entre la partition et la chorégraphie il y a fusion et concordance. La musique, fracas d’un vrombissement continu strié de cordes, n’est plus un support mais une composante intrinsèque de cette chorégraphie, ne faisant plus qu’un avec elle, en totale harmonie, traversée de la même énergie, de la même puissance et semblant se nourrir l’une de l’autre dans un acte sublime de dévoration réciproque. Le mouvement, le geste lancé à pleine vitesse est projeté, tranchant, et l’espace cisaillé comme l’air peut être cisaillée par les pales d’un hélicoptère. Les corps, tiraillés entre articulation, désarticulation et torsion, toujours en extension et prêts de se rompre, ne franchissent jamais le point de rupture auxquels ils parviennent, la tension est ainsi continue, sans faillir. L’exigence des deux parties, du chorégraphe et du compositeur, de la chorégraphie et de la composition, n’autorise aucun lâcher-prise mais demande un dépassement de soi, une soumission, un effacement devant cette pression continue qui ne les broie pas mais les porte au plus haut. Seule trace d’humanité, s’il en reste dans cette mécanique de précision horlogère où les corps dissous dans ces accordailles harmonieuse parviennent à une forme d’abstraction, les portés : les danseurs s’agrippent plus qu’ils ne se soulèvent, comme un ultime et unique geste de résistance devant ce qui pourrait les broyer, les déshumaniser. On est emporté, soulevé par ce maelstrom virtuose qui vous laisse K.O debout.
En miroir de cette reprise, une création, Licht, toujours en référence au compositeur Stockhausen, mais pour la partition c’est Laurent Garnier, héritier direct du compositeur aux yeux d’Angelin Preljocaj. Aussi superbe soit cette double partition, musicale et chorégraphique, elle souffre de la comparaison encore impressionnés et sous l’influence sommes-nous par la première partie qui nous hante. Aux mouvements saccadés et coupants qui prévalaient dans Helikopter, succède ici une chorégraphie bien plus délié, une gestuelle plus douce et comme retenue, concentrée. Cependant à la noirceur relative du premier opus il y a quelque chose de bien plus lumineux, en référence au titre, et davantage d’humanité que d’abstraction. A la sécheresse Angelin Preljocaj privilégie ici la sensualité qui n’empêche nullement cette signature, l’art de la rupture, de la cassure inattendue et soudaine, ces mouvement brisés dans leurs élan. Privilégiant aussi le collectif et les rapports au sein d’un groupe, nombreux sont les portés et les contacts, important le toucher, dans une volonté affichée d’exprimer au regard de notre actualité la nécessité de changer, de s’aimer davantage, du moins être solidaire. Laurent Garnier mixant à sa composition le tube de Kogis Everybody’s got to learn sometime avec pour antienne et invite « change your heart, look around you », devenu le thème de cette nouvelle pièce. On peut aisément se passer de ce message un tantinet « peace and love » malgré la somptuosité de la proposition – certaines images sont splendides, c’est vrai, telle cette ligne pure où les danseurs mains dans la main s’avancent vers le public, pour ne se consacrer qu’à cette chorégraphie d’une légéreté empreinte cependant d’inquiétude et de gravité. Moins convaincant sans doute le dernier tableau, sensément représenter le paradis, référence directe à l’entretien entre Stockhausen et Preljocaj, film diffusé entre les deux parties, éclairant le relation entre ces deux créateurs révolutionnaires. Paradis oui, sans doute, mais on songe plutôt au Paradis-Latin que rappelle incidemment ces corsets-colliers de strass portée par les danseuses. Etonnante faiblesse soudaine que rachète la dernière image, d’une grande sensualité, le groupe ne faisant plus qu’une seule masse organique empreinte d’un certain érotisme.
© Yang-Wang
Helikopter / Licht, chorégraphie d’Angelin Preljocaj
Avec : LiaM Bourbon Simeonov, Clara Freschel, Mar Gomez Ballester, Paul-David Gonto, Lucas Hessel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Beatrice La Fata, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Velen Rivat-Fournier, Léonardo Santini
Assitant, adjoint à la direction artistique : Youri Van Den Bosh
Assistant répétiteur : Paolo Franco
Choréologue : Dany Levêque
Helikopter
Musique : Karlheinz Stockhausen, Helikopter-Quartet’
Interprétée sur la bande par Le Quatuor Arditti
Scénographie : Holger Förterer
Lumières : Patrick Riou
Costumes : Sylvie Meyniel
Licht
Musique originale : Laurent Garnier
Lumières : Eric Soyer
Costumes : Eléonore Peronetti
Vidéo : Nicolas Clauss (extraits issus de « Stokhausen-Preljocaj / Dialogue », filmé par Olivier Assayas © MK2TV2007)
Jusqu’au 3 mai 2025 à 20h
Sam 12 avril et 3 mai, 15h et 20H : sam 19 avril, 20h
Durée 1h30
Théâtre de la Ville
Place du Châtelet
75004 Paris
Réservation : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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