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Hatched Ensemble, chorégraphie de Mamela Nyamza, au TPM – Théâtre Public Montreuil, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Mai 22, 2024 | Commentaires fermés sur Hatched Ensemble, chorégraphie de Mamela Nyamza, au TPM – Théâtre Public Montreuil, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

© Mark Wessels

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Cette vue d’ensemble, elle nous est d’emblée offerte, sur un plateau : dans un lointain décentré, à jardin, nimbé de la force évocatrice du mirage et du conte, un groupe de jeunes femmes et d’hommes forme une paisible oasis humaine. Dans la délicate et chaude lumière qui les épingle au cœur de la nuit, se détache un village, c’est-à-dire un ensemble de relations visibles et invisibles, reliant les corps, épousant les êtres. Tout cela enveloppé par la musique profondément mélancolique de Camille Saint-Saëns (Le Cygne), quelques trois minutes sublimes et reprises en boucle sans discontinuer, point de fixation extrême, rivet tenace de ce qui symboliserait la culture occidentale : la musique classique, Le Lac des cygnes… Mais pourtant Hatched Ensemble jamais n’affirme. Les corps évoluent dans une sorte de grâce, essaimant leurs gestes contenus d’un quotidien inouï. Leur déplacement est rendu imperceptible par la chorégraphie hypnotique de leurs présences. Portant et déportant quelques effigies, coq, voiture, fleur, arbre, oiseau…, les danseuses et les danseurs acquièrent l’aura des déesses et des dieux, d’un olympe africain recomposé sous nos yeux. Reines et rois d’un lointain empire. Si Mamela Nyamza sait parfaitement où elle veut nous mener, elle n’en perd pas moins le sens des détails, pour lesquels on ressent très vite un profond attachement et qui font toute la splendeur extatique de ce premier et long tableau : un assaut de subtilité, un saisissement dans le mineur, une poésie dans le vernaculaire. Quelque chose de miraculeux advient dans la justesse de ce qui a lieu, d’une écriture parfaite sans pour autant être jamais imposante. Tandis que les notes de Camille Saint-Saëns s’égrènent, les danseurs progressent, tel un lent caravansérail suivant, dans la symphonie éparpillée de leurs gestes simples et déliés, par leur amplitude et leur réserve composées, la courbe du soleil, du lever au coucher passant par un apogée, dans une secrète mécanique évoquant par son invisible ordonnancement la magie d’une boîte à musique. Un simple roulement de tête est ici évènement et engrenage.

Hatched Ensemble impressionne de bout en bout par sa beauté plastique. Torses nus, les corps des interprètes pourraient évoquer les ballerines d’un Degas, s’affairant avant la représentation. Sauf que le tutu ici n’est pas une corolle rigide mais recouvre leurs jambes comme une écorce fluide, elle-même recouverte de petits morceaux de bois blanc (qui s’avéreront être des pinces à linge), produisant lorsque le groupe se mettra à faire ses pointes, dans un souverain piétinement, une sorte d’ébrouement, générant, par le tintement des pinces entre elles, un délicieux son pareil à celui d’un bâton de pluie.

La ligne d’horizon est une corde à linge, et les coiffes élancées et rouges qui leurs donnaient fière allure seront dépliées et suspendues, révélant leur nature de robe-bustiers et de blouses. Ce trait rouge court comme une balafre sanglante en travers du plateau, sous laquelle les corps ploient et frottent le sol, renvoyant autant à l’assignation de la femme aux tâches ménagères qu’aux fonctions de domesticité occupées par les noirs pendant l’apartheid. Et puis lorsque les corps se suspendront eux-mêmes, poupées vivantes et désarticulées à part un basculement de tête, une mémoire plus sinistre encore poindra. L’intersectionnalité, pour reprendre un concept sociologique, se traduit esthétiquement par la multiplicité du sens des images produites, comme autant de couches de vêtements habillant un corps. De même que la musique classique laissera place à des chants africains, les pointes seront délacées, et les pieds recouvreront leur liberté. Inspiré d’un solo créé par la chorégraphe en 2007 (HATCHED), Hatched Ensemble complexifie sa dramaturgie, les gestes d’une femme devenant, à la manière de May B de Maguy Marin, la geste d’une communauté. Sensiblement, chacun, chacune, participe de cette émancipation dont le titre est porteur.

 

© Val Adamsson

 

Hatched Ensemble, concept, chorégraphie et direction de Mamela Nyamza

Interprètes : Kirsty Ndawo (maître de répétition), Kearabetswe Mogotsi, Khaya Ndlovu, Thamsanqa Ndlovu, Tania Mteto, Itumeleng Chiloane, Amohelang Rooiland, Noluyanda Mqulwana, Zandile Constable, Thimna Sitokisi

Chanteuse lyrique : Litho Nqai

Musicien : Given « Azah » Mphago

Direction technique et lumières : Thabo Pule

Costumes : Mmela Nyamza et Bhungane Mehlomakulu

 

Durée : 65 min

 

Du 14 au 15 mai 2024 à 21h00

 

TPM

Théâtre Public Montreuil

Salle Jean-Pierre Vernant

10 place Jean-Jaurès

93100 Montreuil

Tél : 01 48 70 48 90

 

www.theatrepublicmontreuil.com

Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

www.rencontreschoregraphiques.com

 

 

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