© Wilfried Thierry
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Qui sont-ils ces cinq-là, frères et sœurs − mais en sommes-nous sûrs ?− qui débarquent sur ce plateau, dans ce salon tout de beige tendu, valise à la main pour une réunion familiale, la mort du père, hanté de souvenirs enfouis, de non-dits étouffés, de vérités fragiles et tues, qui surgissent inopinément, par fragments, par éclats impromptus. Il y a quelque chose de proustien où trois fois rien, un geste esquissé, un mot échappé sont autant de petites madeleines pour que tout soudain bascule sans crier gare et sans heurt. Des glissements incongrus où la réalité s’estompe pour le conte et le mystère, le territoire de l’enfance, sa douceur âpre et sa cruauté innocente. Et l’on ne s’étonne absolument de rien. Des corps qui chutent et se contorsionnent étrangement. Des métamorphoses soudaines où se prendre pour un chien, aboyer à vous fendre l’âme, semble tout naturel. Devenir pierre, paysage, n’est pas impossible non plus. On se bat comme des chiffonniers, on se cache sous la moquette, on se déguise, on chante, on danse, on saute haut. Très vite le si magique de l’enfance n’est plus un conditionnel. On ne joue plus à, on est. Et l’enfant dévore définitivement l’adulte… Nathalie Béasse explore cette part intime en nous qu’elle met à jour, exhausse, cette part cachée et monstrueuse, chimérique, ces lambeaux d’enfance empoissés qui nous collent encore et toujours à l’âme et vous étouffent. C’est tout à la fois grave et farfelu. Tissé serré, rien de lâche, comme cette comptine entêtante, marabout-bout de ficelle, c’est un joyeux collage loufoque sans queue ni tête, une image en appelant une autre, sans autre logique que quelques évocations et sensations qui soudain traversent ces drôles d’énergumènes et les bouleversent. Logique enfantine du coq-à-l’âne et l’on saute abrupto à cloche pied d’un univers l’autre, d’un personnage l’autre. C’est muet et parfois troués de confidences. Et ce que Nathalie Béasse met en scène et chorégraphie, avec cet art aigu du décalage et de l’image percutante, c’est justement ce qui sous-tend ces rares confessions lacunaires, ce monde implosif et sous-terrain, celui de l’enfance blessée, apeurée où tuer le père, faire la mère, se perdre en forêt n’est bientôt plus un jeu et siffle la fin de la récréation et de l’enfance. Avec Nathalie Béasse le burlesque et la poésie, ici étroitement et habilement tressés, ne sont qu’une forme de politesse délicate qui peine pourtant à cacher le tragique de l’existence et qui finit toujours par pointer son vilain nez. Et les cinq sur le plateau, véritables augustes, ont beau faire génialement le clown, et avec quel talent, jeter (qui n’est pas ici une métaphore) leurs corps dégingandés dans cette bataille, et le corps a ici une importance capitale, il émane d’eux au final une sourde et tenace mélancolie. Parce que la mort du père c’est aussi et sans doute la mort définitive de leur enfance…
© Wilfried Thierry
Happy Child, conception, mise en scène, scénographie Nathalie Béasse
Avec Étienne Fague, Karim Fatihi, Erick Gerken, Anne Reymann et Camille Trophème
Lumières Nathalie Gallard
Bande sonore Julien Parsy
Sculpture Corinne Forget
Régie son Nicolas Lespagnol-Rizzi
Régisseuse générale Bastille Véronique Bosi
Du 14 au 16 mai 2019 à 20h, 17 et 18 mai à 21h
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservation 01 43 57 42 14
Dans le cadre d’occupation bastille, troisième édition, dont l’invité est Nathalie Béasse seront donnés :
Tout semblait immobile 17,18, 23,24 et 25 mai 2019 à 18h30
Roses 21, 22 mai à 20h- 23, 24 et 25 mai 2019 à 21h
Librement adapté de Richard III de Shakespeare
Le bruit des arbres qui tombent du 3 au 7 juin 2019
Ces trois chroniques sont disponibles sur notre site
Aux éclats-work in progress (entrée libre sur inscription) 19, 20, 21, 24, 25, 26, 27 et 28 juin 2019
Soirée guitare héros 25 juin 2019 après aux éclats-work in progress
Histoire courte à 19h30 chaque jour de représentation (entrée libre)
Workshops et ateliers
– Open doors
Workshop pour les amateurs avec Nathalie Béasse
30, 31 mai 2019, 1er, 9 et 10 juin 2019
(Renseignements et inscription elsa@theatre-bastille.com)
– Ateliers
Pensée et mouvement le 8 juin 2019 de 11h à 18h
Avec Claire Lavernhe, danseuse
Écriture poétique et musique, lundi 10 juin 2019 de 11h à 18h
En compagnie de la poétesse Laura Vazquez
Regarder et interpréter
Avec Géraldine Chaillou, directrice adjointe du Théâtre de la Bastille
3 et 6 juin 2019 à 18h et 18 juin 2019 de 8h à 11h30
(Renseignements et inscription elsa@theatre-bastille.com)
– Retrouvailles workshop professionnel
Soirée de clôture 29 juin 2019 à 19h30
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