© Vincent Pontet
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Première mise en scène d’opéra pour Cyril Teste, Hamlet d’Ambroise Thomas. Une réussite éclatante. Une mise en scène soignée, dépouillée, austère même. Résolument contemporaine. Hamlet, jean’s et baskets, chemise froissée, chanté par le baryton Stéphane Degout, torturé, tout à son aise dans le malaise existentiel de son personnage. Performance pas seulement vocale mais aussi une interprétation sombre et intimiste. C’est le biais choisi par Cyril Teste qui au spectaculaire privilégie l’intime, la confidence de l’aveu. Plateau dépouillé et nu que découpe une structure de toile mobile sur laquelle se projette les images vidéo en prise directe ou différée, sans encombrer, miracle, inutilement la mise en scène. Un parti pris technologique affirmé, volontaire et mesuré. Cyril Teste multiplie les champs, les contre-champs et le hors-champs. Gros plan sur des visages inquiets, tourmentés. Détails des mains qui se cherchent ou s’arrachent. Jeu des contrastes entre une société qui se met en scène, le couronnement de Claudius, et l’intimité de confidences, de confrontations. Les chanteurs filmés hors-plateau comme si la tragédie se préparait là aussi, dans les coulisses. Claudius maquillé dans sa loge pour son avènement. Ophélie au bar du foyer, enivrée, raccompagnée sur le plateau par les techniciens. Le monde est un théâtre, le plateau un espace mental. Ce qui empêche toute action spectaculaire. Il y a quelque chose de volontairement figé dans cette mise en scène parfois glaciale, sombre, reflet et espace mental donc d’un Hamlet tétanisé, torturé par ce désir de vengeance dont il est le dépositaire, ordonné par son père (Jérôme Varnier, impressionnant). Un spectre placé par Cyril Teste à la place traditionnelle du metteur en scène, au milieu du public. Le pivot, l’ordonnateur de cette tragédie c’est lui. « Le meurtre de Gonzague », pièce que fait jouer Hamlet pour dénoncer le meurtre est à son initiative. C’est sous son regard que s’opère le drame. Cyril Teste joue des mises en abymes. Avec ça une direction d’acteur intelligente, sobre, qui évite tous clichés opératiques. Plus réflexive que démonstrative, toute d’intériorité. Evidemment, nous l’attendions la scène de folie d’Ophélie, cet air de bravoure, pyrotechnie vocale, qui a permis à Ambroise Thomas de ne pas tomber tout à fait dans l’oubli après la gloire, réduit à cette sublime portion congrue. Sabine Devielhe y est prodigieuse de sensibilité exacerbée. Pas de folie ici, non, mais une ivresse, un effondrement de tout son être. Ivre, oui, d’amour, de chagrin et d’alcool. Ce ne sont pas des vocalises qu’elle projette avec une maîtrise époustouflante mais des larmes échappées et cristallines. Bouleversante et déchirante dans sa ballade et son adieu. Et tout cela sans démonstrations excessives, dans une pureté de jeu incroyable. Longtemps ce chant résonne, bien après l’acte IV. Stéphane Degout est un Hamlet d’une grande acuité. Voix large, expressive et puissante, nuancée avec profondeur et diction, comme le reste de la distribution, impeccable, il est un Hamlet tout d’intériorité et de douleur sourde, de rage contenu. Signalons Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude, large voix et projection impressionnante et un tempérament dramatique affirmé. Ce qui frappe c’est l’homogénéité tant vocale que dramatique de la distribution, associée à la mise en scène, en osmose, qui donne à cette production une exceptionnelle qualité artistique. Et Louis Langrée à la baguette mène l’orchestre des Champs-Elysées dans les méandres d’une partition d’une grande richesse, d’une palette de couleurs subtiles qui oscille entre noirceur épaisse et pureté, légèreté. Curieuse partition d’ailleurs, insaisissable et moirée, tant tout semble ordonné aux sentiments mouvants de chacun des interprètes. Chaque acte est une montée en puissance et jamais la tension ne se relâche. Louis Langrée, c’est évident, a cette volonté ferme de défendre une œuvre sortie de son purgatoire, revenue au premier plan. C’est peu de dire qu’associé à Cyril Teste, et aux chanteurs c’est évident, ceux-là nous ont convaincu de la redécouverte de ce compositeur et de cet opéra qui ne peut se réduire désormais à l’acte IV tant rebattu pour les prouesses d’une soprano électrique.
© Vincent Pontet
Hamlet d’Ambroise Thomas
Direction musicale Louis Langrée
Mise en scène Cyril Teste
Scénographie Ramy Fischer
Costumes Isabelle Deffin
Lumières Julien Boizard
Conception vidéo Nicolas Dorémus, Mehdi Toutain-Lopez
Dramaturgie Leila Adham
Assistant direction musicale Julien Masmondet
Cheffe de chant Marine Thoreau La Salle
Chef de choeur Joël Suhubiette
Assistante mise en scène Céline Gaudier
Assistante scènographie Nina Chalot
Assistante costumes Marion Duvignage
Assistante dramaturgie Joséphine Bargas, Killian Francisco
Avec Stéphane Degout, Sabine Devielhe, Sylvie Brunet-Grupposo, Laurent Alvaro, Julien Beher, Jérôme Varnier, Kevin Amiel, Yoann Dubruque, Nicolas Legoux
Chœur Les Eléments
Orchestre des Champs-Elysées
Le 17, 19, 21, 23, 27 et 29 décembre à 20h
Le dimanche à 15h
Opéra-Comique
1 place Boieldieu
75002 Paris
Réservations 01 70 23 01 31
comment closed