À l'affiche, Critiques // Hamlet, mise en scène de Robert Icke, Harold Pinter Theatre, Londres

Hamlet, mise en scène de Robert Icke, Harold Pinter Theatre, Londres

Juil 25, 2017 | Commentaires fermés sur Hamlet, mise en scène de Robert Icke, Harold Pinter Theatre, Londres

ƒƒ  article de Corinne François-Denève

 

A Londres, les spectateurs accourent en masse pour aller voir le Hamlet « hot » du moment : mis en scène par Robert Icke, dont le 1984 fait actuellement s’évanouir le public de Broadway, ce nouvel Hamlet est incarné par Andrew Scott, qui n’est autre que le méchant Moriarty dans la série télévisée britannique Sherlock. Hasard des productions et des distributions, son comparse télévisuel, Benedict Cumberbatch, avait également incarné en 2015 Hamlet au théâtre du Barbican Centre. Hasard ou nécessité : en Angleterre, il n’existe pas la même ligne de démarcation qu’en France entre le monde de la télévision de qualité et celui du théâtre « légitime » ; ici, il n’y a peut-être que Robin Renucci à pouvoir se targuer de faire le grand saut entre un Village français et les Tréteaux de France. Les téléspectateurs de Sherlock qui s’en vont défier les gradins pentus du Harold Pinter Theatre en ont en tout cas pour leur argent. Ponctué de deux entractes, comme autant de nécessaires remontées à la surface dans un concours d’apnée, le spectacle dure près de quatre heures.

Le spectacle adopte pourtant délibérément le parti-pris de l’esthétique cinématographique, dont on pourrait penser qu’elle incite à la vitesse et à la condensation. Ce choix peut aisément se justifier : en transposant Hamlet à l’époque moderne (mais une époque somme toute peu « située », les costumes renvoient aux années 1950 ou 1960, la vidéo-surveillance à un temps plus contemporain), Robert Icke a toute licence pour truffer sa pièce de caméras et d’écrans. Les vidéos retransmettent d’abord les images de l’enterrement du vieux roi (en danois, ce qui réjouit les happy few scandinavistes, même si on se doute que les chaines d’infos en continu seraient forcément en anglais – certains plans empruntent d’ailleurs aux vraies funérailles, nous a-t-il semblé, du roi Olav V de Norvège, né Alexander de Danemark), puis montrent l’image d’un fantôme envahissant les écrans de contrôle du château, exacerbant la douleur folle d’Hamlet. Plus tard, les caméras « capteront » la pièce dans la pièce, et le public de ce spectacle qui se joue sur scène : le nouveau roi, la reine, Hamlet et Ophélie, au premier rang, parmi les spectateurs de ce Hamlet 2017, regardant se rejouer la scène parodique du premier assassinat. L’effet de boucle sera parfait avec un retour aux actualités, à la mort d’Hamlet, tandis que sur les écrans de la salle s’inscrivent successivement « pause » puis « stop », quand la pièce a touché à sa fin, et la vie d’Hamlet à son terme.

Ce choix de l’esthétique cinématographique, sur le mode de la séquence rapide, où la réplique finale de chaque scène est scandée par un effet sonore, au point parfois de l’assourdir, se heurte à une autre temporalité, dilatée et « théâtrale ». C’est celle des monologues d’Andrew Scott, déclamés le plus souvent face public (la scénographie trace finalement trois espaces parallèles, celui du plateau, de l’avant-scène, et d’un lointain qui figure le monde des spectres, ou une possible retraite fœtale). Le heurt des deux esthétiques, des deux temporalités, loin de créer un effet de rupture bienvenu, déconcerte. Déconcertant aussi est le choix de faire d’Hamlet la victime collatérale de la séparation de ses parents, explication sans doute un peu courte à son désarroi existentiel. Dans la scène finale, gauche, nous a-t-il semblé, le bon fils se réjouit, dans l’autre monde, de pouvoir joindre à nouveau les mains de ses géniteurs, comme dans la toute-puissance de l’enfance. Déconcertante aussi est cette mort d’Hamlet, régressive, dans les bras d’Horatio, comme retombant dans les limbes de l’enfance, ou comme étouffant l’aveu d’un impossible amour – Andrew Scott ayant choisi, en 2013, de médiatiser son homosexualité.

Evidemment, la pièce réserve aussi ses beaux moments : la mise au tombeau d’Ophélie, et l’arrachement à la terre de son corps, par un Hamlet plus fou que jamais ; le meurtre de Polonius, grotesquement empêtré dans le rideau d’un dressing ; la pantomime de la vie et de la mort des deux acteurs. Au côté d’Andrew Scott scintillent également de grands noms de la scène et de l’écran – on aura une tendresse particulière pour Peter Wright et son truculent Polonius.

 

Hamlet, de William Shakespeare

Mise en scène de Robert Icke

avec   Andrew Scott (Hamlet), Marty Cruickshank (Player Queen), Jessica Brown Findlay (Ophelia), Calum Finlay (Rosencrantz), Joshua Higgott (Horatio), Daniel Rabin (Reynaldo), David Rintoul (Ghost/Player King), Juliet Stevenson (Gertrude), Luke Thompson (Laertes), Peter Wight (Polonius), Angus Wright (Claudius) and Matthew Wynn (Bernardo/Player 3/Priest)

Scénographie et costumes Hildegard Bechtler
Lumières Natasha Chivers
Son Tom Gibbons
Vidéo  Tal Yarden
Production  Ambassador Theatre Group, Sonia Friedman Productions and the Almeida Theatre

Durée : 3 h 45 avec deux entractes

Du lundi au samedi à 19 h, matinées les jeudis et samedis à 13 h 30
Jusqu’au 2 septembre 2017

 

Harold Pinter Theatre
6 Panton Street, London, SW1Y 4DN
www.haroldpinter.theater

Be Sociable, Share!

comment closed