© Gilles Le Mao
ƒ article de Denis Sanglard
Après un Misanthrope de haute volée et d’une grande énergie avec un propos et une mise en scène d’une rare intelligence et qui avait bluffé, nous attendions beaucoup de cet Hamlet. (Nous n’avons pas vu, hélas, La Mouette, second opus d’une trilogie qu’Hamlet veut clore). Trop peut-être. Avec Shakespeare, Thibault Perrenoud trébuche. Pas de haut quand même et il n’y a pas grand mal ni mort d’homme. La mise en scène a de certaines qualités et quelques pépites sont à retenir. Seulement voilà, la traduction de Clément Camar-Mercier est des plus triviale, sans souffle véritable, et le texte de Shakespeare s’en trouve comme tout plat, terre à terre et dépouillé de toute poésie, de tout envol, une traduction toute entière soumise et contrainte par la mise en scène de Thibault Perrenoud, de sa vision propre. Cette dernière étant, las, quelque peu limitée ici, rien ne décolle vraiment. On cherche en vain, dans le formidable maelstrom et la complexité de cette œuvre tant visitée, un propos, un point de vue, un angle d’attaque. Rien n’apparaît vraiment sinon une lecture linéaire et sans heurt, sans aspérité de l’œuvre. Thibault Perrenoud suit la dramaturgie fidèlement, à la lettre, et n’en retire rien, n’exhausse rien, n’invente pas grand-chose à vrai dire. Certes on pourrait disserter sur le fait que les acteurs ont double charge, le fantôme du père est aussi l’oncle régicide, Laërte est également Polonius et Gertrude, Ophélie. Un jeu psychanalytique qui voudrait interroger les rapports symboliques de filiation… Tuer le père, épouser sa mère, Hamlet est un drame œdipien… Soit, mais probant ou non, déjà vu et rebattu. Thibaud Perrenoud, Hamlet, joue lui de la folie, vraie ou simulée, et trouve là un terrain de jeu propice et attendu pour un acteur. Et c’est un excellent comédien, sa prestation est impeccable. Mais fallait-il tirer tout ça vers le grotesque obérant de facto la crédibilité de son comportement ? Tout ne l’est pas dans l’ensemble mais c’est ce qu’on retient en premier lieu tant celui-ci barbouille et gâche les moments d’émotions, car il y en a, et de fragilité chez son personnage et même de l’ensemble de la mise en scène. Prenons la scène où Hamlet par le truchement du théâtre dévoile et dénonce le meurtre de son père. Pourquoi le tirer dans une telle mascarade, un jeu outrancier ? Et la folie d’Ophélie, grommelée et inaudible… alors même qu’Aurore Paris, dans le double rôle Gertrude/Ophélie est remarquable et offre à ses deux personnages de belles couleurs, un très beau nuancier et sans afféterie aucune. Sans compter la fin, le duel mortel, totalement ratée. Des intentions il y en a dans cette mise en scène mais elles ne restent que des intentions, des idées suspendues au personnage et aux basques des frasques d’Hamlet qu’on aurait souhaité pour l’heur d’être davantage plus complexe que figé, cramponné dans cette folie simulée et donc de fait extravertie (voyez comme je joue à jouer la folie) qui annule et ne semble pas vouloir autoriser tout autre émotion. Et surtout finit par lasser quand ce surjeu gagne les autres personnages et ne se justifie que difficilement. On ne voit pas vraiment au final où Thibault Perrenoud, le metteur en scène, va, ni quel chemin il semble emprunter, ni au fond ce qu’il souhaite exprimer. Où est le sens de tout ça et en premier lieu celui du texte ? Sans demander une relecture contemporaine, on espérait au moins un questionnement plus qu’une illustration de l’œuvre. Reste certes le plaisir affirmé du jeu. De fait Thibault Perrenoud embarque avec lui les spectateurs, qu’il interpelle souvent et par une scénographie qui les inclut (scène tri-frontale et dans cette salle de banquet désertée certains font office d’invités.) Théâtre dans le théâtre, mise en abyme et jeu de miroir, appréhension de la pièce comme une œuvre collective, une performance, un work in progress… Tout cela à la fois sans doute. Cela a ses qualités mais aussi ses défauts. Mais peut-être est-ce là, tout bêtement, que se situe le cœur de cette mise en scène. Rien que le jeu, tout pour le jeu. Alors oui, de ce point de vue, malgré nos réserves, c’est sans doute réussi. Mais frustrant.
© Gilles Le Mao
Hamlet de William Shakespeare
Création collective
Mise en scène de Thibault Perrenoud
Collaboration artistique Mathieu Boisliveau
Nouvelle traduction, adaptation et dramaturgie de Clément Camar-Mercier
Avec Mathieu Boisliveau, Pierre-Stefan Montagnier, Guillaume Motte, Aurore Paris, Thibault Perrenoud
Création lumière et régie générale Xavier Duthu
Scénographie Jean Perrenoud
Construction Franck Lagaroje
Création son Emilie Wacquiez
Régie son et plateau TRaphaël Barani
Costumes Emmanuelle Thomas
Avec le regard de Guillaume Severac-Schmitz
Du 9 janvier au 6 février 2020 à 20h
Relâche les dimanches
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
Tournée 2020
11 au 21 mars Scène Watteau, Nogent
21 et 22 avril Théâtre Firmin Gémier La Piscine, Chatenay-Malabry
30 avril Scène des trois Ponts, Castelnaudary
19 mai Théâtre Paul Eluard, Choisy-le-Roy
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