À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Grief and Beauty, de Milo Rau, La Colline Théâtre national

Grief and Beauty, de Milo Rau, La Colline Théâtre national

Fév 05, 2023 | Commentaires fermés sur Grief and Beauty, de Milo Rau, La Colline Théâtre national

  

 

© Michiel Devijvier

 

ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Grief and Beauty peut rendre le spectateur et le critique pour le moins mal à l’aise. Grief and Beauty ne dépareille pas de ce qui caractérise le théâtre de Milo Rau depuis la création de l’International Institute of Political Murder (2007), puis sa prise de direction du Théâtre de Gand (2018), à savoir mêler comédiens professionnels et amateurs, s’inspirer ou utiliser des faits réels et dramatiques, éventuellement criminels, pour parler du réel, de ce qui fait l’humain dans la petitesse ou la trivialité de son quotidien. Dans une nouvelle série (La Trilogie de la vie privée), débutée avec Familie le spectacle joué parallèlement au Théâtre de la Colline, déjà chroniqué au Fauteuil, c’est la mort qui s’impose brutalement, par le suicide collectif d’une famille. Mais cette mort multiple, infligée aux spectateurs, restait dans l’ordre du théâtre, dans le genre de la reconstitution d’un drame. Ici dans Grief and Beauty, c’est une mort réelle qui s’impose, s’affiche. Celle d’une octogénaire qui a décidé de recourir à l’euthanasie, et qui a consenti à être filmée dans ses derniers moments avec sa famille, et à ce que la vidéo soit projetée dans le spectacle de Milo Rau.

Les comédiens sur le plateau ont beau faire avec talent (excellent Arne de Tremerie notamment), leurs bouts d’histoires personnelles, enfances plus ou moins heureuses, expérience à l’armée, pratique théâtrale, annonce de la mort d’un enfant sur un groupe whatsapp, deuil de son propre enfant, traversée d’un cancer, dépendance liée à la fin de vie (avec la douche du vieil homme nu et le placement de la couche sur le lit, dans une esthétique moins dramatisée que dans la scène marquante de Sur le visage du concept du fils de Dieu de Castellucci) ne font ni un tout, ni sens. Même si on se laisse porter un temps par ces gestes du quotidien dans cet appartement années 60 où l’on n’a pas l’impression de regarder par le trou de la serrure car les comédiens s’adressent à nous frontalement tour à tour, ou s’imposent sur le grand écran, on finit par ressentir que ce qui se passe sur le plateau n’est qu’un habillage, un prétexte, pour cette projection de suicide assisté, où après le sourire rayonnant de Johanna B., c’est sa bouche ouverte et torve qui s’impose comme mémoire finale pendant de longues minutes. Ce théâtre dit du réel est-il encore du théâtre ? On peut tout à fait admettre qu’il y a une place pour une dramaturgie de l’euthanasie. Mais quel est ici l’objet de ce geste dramaturgique ? Même si Milo Rau rappelle toujours qu’il fut élève de Bourdieu (et qu’il a enseigné la sociologie, v. notamment sans son ouvrage Vers un réalisme global paru à L’Arche en 2021), qui prônait la participation comme approche méthodologique, il ne peut évidemment y avoir de participation active ici ; est-ce que ce parti pris presque hérétique de refus de la distanciation, est la meilleure manière d’aborder le débat (ô combien indispensable) sur la fin de vie ?

Nous n’avons pas la réponse. Et la réception de chaque spectateur dépendra évidemment de sa propre expérience du deuil, de son propre rapport à la mort, la sienne, celle de ses proches et celle des inconnus. Alors, on repart avec l’image du trou noir final et la « beauty » du leitmotiv musical du spectacle, un arrangement au violoncelle (par Clémence Clarysse) du bouleversant aria « When I am laid in earth » de Didon et Énée de Purcell, et on ne se retournera pas…

 

© Michel Devijvier

 

 

Grief and Beauty

Dramaturgie : Carmen Hornbostel

Lumières : Dennis Diels

Collaboration à la dramaturgie et coach : Peter Synaeve

Caméra : Moritz Von Dungern

Musique live : Clémence Clarysse

Composition : Elia Rédiger

Décor : Barbara Vandendriessche

Assistanat à la mise en scène : Katelijne Laevens

 

Avec : Arne de Tremerie, Anne Deyglat, Princess Isatu Hassan Bangura, Staf Smans et Johanna B. (à l’écran)

En néerlandais et anglais (surtitrés en français)

 

Durée 1h35

 

La Colline – Théâtre national

15 rue Malte-Brun, Paris 20e

Jusqu’au 5 février 2023, à 20h30

 

www.colline.fr

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed