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Grand reporTERRE #7 : la fabrique de la domination de Carole Thibaut et Lorraine de Foucher, Théâtre du Point du Jour, Lyon

Mai 06, 2023 | Commentaires fermés sur Grand reporTERRE #7 : la fabrique de la domination de Carole Thibaut et Lorraine de Foucher, Théâtre du Point du Jour, Lyon

 

© Bertrand Gaudillière

 

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

Au théâtre du Point du Jour, à Lyon, le dispositif « Grand ReporTERRE suppose la présence d’un ou d’une artiste, et d’un ou d’une journaliste, échangeant sur des sujets d’actualité. Le propos est engagé, militant, sans concessions : il s’agit de « mettre en pièce » un objet de débat – la désobéissance civile, le cyberféminisme, les liens entre énergie et économie, ou la fameuse controverse « faut-il séparer l’homme de l’artiste ? ». Les sujets sont sensibles, comme en témoignent les fréquents « trigger warnings » qui accompagnent lucidement et raisonnablement les spectacles ; mais la forme créative et performative garantit l’approche « sensible » de ces mêmes objets. Cette forme suppose également un engagement fort des parties prenantes : il s’agit pour le ou la journaliste, et l’artiste, de se déporter loin de ses pratiques habituelles, pour aller à la rencontre d’un autre discours, ou d’une autre possibilité de discours. Il s’agit aussi de monter très vite une pièce pertinente, qui n’aura qu’une exploitation courte, mais qui se prêtera à un échange avec la salle – on mesure l’étendue de la gageure.

L’épisode 7 mettait en présence Carole Thibaut et Lorraine de Foucher. On connait les engagements de l’une, par ses spectacles, ou ses prises de parole et de position – sur la façon dont les femmes « se font baiser » dans le monde du théâtre. On connait également l’autre : elle a été à l’origine d’enquêtes d’envergure sur PPDA et la violence du milieu du porno. La rencontre était évidente, le sujet l’était tout autant – la fabrique de la domination, titre bourdieusien, qui se propose de réfléchir, de façon ambitieuse, à la mécanique de la construction d’une violence désormais considérée comme systémique.

Et de fait, plutôt qu’à une « conférence-témoignage » plus ou moins « fabriquée », Carole Thibaut et Lorraine de Foucher se livrent à une véritable performance scénique. On serait presque en mal de définir qui est la comédienne et qui est la journaliste, les propos de la première, incisifs et précis, dessinant un fil rouge implacable, les évocations de la seconde, habitées et très émouvantes, voisinant avec des interventions percutantes, très drôles, proches du stand up. Divers dispositifs viennent s’interpoler dans la discussion sororale entre les deux protagonistes : des extraits sonores de la première rencontre, prise de connaissance dans le bruit d’un café, des séquences tirées de reportages, des textes, donnés à lire, en fond de scène, commentés, repris, expliqués, ou parfois laissés à l’interprétation du public, comme les biographies des deux actrices, volontairement denses, dont on saisit poétiquement quelques bribes. Le visionnage des séquences d’un reportage consacré à des enfants philippins violentés, à l’intérieur de la performance, fait penser à une installation d’art moderne, tant le propos est fluide. La projection des photos d’enfance de Lorraine de Foucher et Carole Thibaut, petites filles brune et blonde, qui fixent l’objectif comme pour interroger leur avenir, ou qui sourient pour le photographe, comme les gentilles petites filles à cheveux courts qu’elles furent aussi, n’est en rien gratuite. La question de la transmission de la colère est également traitée, par les propres filles des artistes – délicieux moment d’autodérision : tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des mères (pas) féministes !

On se lève, et on se casse – ou on s’assoit, et on crée, comme ici. Les deux postures sont également possibles – on en a saisi ici une modalité, une tentative de ressaisie, par l’art, d’un système.

 

© Bertrand Gaudillière

 

Grand reporTERRE #7 : la fabrique de la domination

Conception et mise en pièce de l’actualité : Carole Thibaut et la journaliste Lorraine de Foucher

Avec : Carole Thibaut et Lorraine de Foucher

Création vidéo : Benoît Lahoz
Création son : Marc-Antoine Granier
Création lumière et régie générale : Nathan Teulade
Régie vidéo : Clément Fessy
Collaboration artistique : Angélique Clairand
Collaboration technique : Fabienne Gras, Quentin Chambeaud, Thierry Pertière

Durée : 1 h 30

Les 3 et 4 mai à 20 h.

(Cette performance fait référence à des situations d’agressions et violences sexuelles, de pédocriminalité et de féminicides, elle peut heurter la sensibilité des personnes concernées.)

 

Théâtre du Point du jour

7 rue des Aqueducs

Lyon 5e

Réservation : 04 78 25 27 59

www.pointdujourtheatre.fr

 

Le spectacle est repris les 10 et 11 mai au théâtre des Îlets, CDN de Montluçon.

Théâtre des Îlets 

Espace Boris-Vian
27 rue des Faucheroux
03100 Montluçon

Réservation : 04 70 03 86 18

www.theatredesilets.fr

 

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