© Hugo Glendinning
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Il y a des spectacles aux allures modestes qui vous procurent, sans que l’on en saisisse vraiment la cause, une profonde sympathie, voire de la tendresse, alors même qu’ils ne vous parviennent pas indemnes de tout défaut.
Goat en fait partie. La belle jeunesse de ses interprètes (le Ballet Rambert) n’est probablement pas étrangère aux bonnes dispositions dans lesquelles se trouvent le spectateur : cette fleur de l’âge, entre enfance de l’art et innocence souveraine, offre à chaque geste la grâce d’une parfaite coïncidence de l’acte et de l’être.
Ben Duke dit s’être inspiré d’un concert de Nina Simone (Montreux Jazz Festival 1976) pour composer cette pièce, mais Goat n’est aucunement une évocation biographique de la célèbre chanteuse. Il s’agirait plutôt d’une pièce chorégraphiée dans la déflagration émotive que produit aujourd’hui l’écoute des chansons de Nina Simone. Cet endroit mélancolique et épique, poétique et politique, propre à la chanteuse du concert de Montreux.
Idée-force qui annule également toute polémique autour du choix des interprètes indépendamment d’une couleur de peau (la chanteuse, magnifique Nya Lynn, est blanche). Sans ambiguïté aucune, ni douteuse réappropriation.
A notre arrivée, le plateau est occupé de manière éparse par quelques danseurs en train de converser ou de s’étirer. Une estrade est à l’arrière-scène avec batterie et contrebasse. Juste devant, un piano à queue. La scène s’organisera d’abord sous forme d’assemblée (gospel oblige) avec ces premiers mots lancés depuis l’estrade : « Don’t look for safety ! There is no safety », qui nous rappellent que les premières répétitions de Goat ont eu lieu quelques jours après un attentat à Londres.
Nya Lynn, la chanteuse, interprètera en live plusieurs chansons de Nina Simone, tendant ce fil émotif entre 1976 et 2019, entre Nina Simone et le Ballet Rambert. Mais ce mardi soir est un peu particulier. Une profonde émotion nous gagne dès la première danse : dans une figure de groupe resserré, vêtus de couleurs pastels, orangées, jaunes, les corps se tendent, s’enroulent, disparaissent, rejaillissent, crépitent, comme un incroyable feu. Les corps des danseurs sont des flammes, évoquant douloureusement, hasard de l’actualité, l’incendie de Notre-Dame.
Il y aura encore d’autres très beaux moments de danse, qui semblent s’organiser comme un parcours historique depuis ses origines et ses formes rituelles et collectives (danse sacrificielle) jusqu’au duo qui désigne peut-être notre modernité par l’individuation du couple, comme un parcours aussi entre politique (le bouc émissaire, the scape goat) et poétique (feelings).
La tendresse que l’on porte à ce projet et à ses interprètes ne nous interdit pas de pointer quelques faiblesses et écueils… Tout d’abord, la durée réduite, une heure, empêche le développement organique de certaines idées, réduites alors à de simples idées. La thématique du bouc émissaire nous semble ainsi manquer de chair, de complexité pour dépasser l’exposition théorique. Et puis, dans ce format court, on regrette l’intrusion de ce journaliste-reporter parlant de ce qu’il voit au plateau, rompant sans grand intérêt comique, la magie et la grâce qui s’y déploient.
Me restera en mémoire, malgré tout et pour longtemps, cette version de Feelings reprise avec une incroyable et lumineuse densité dramatique par Nya Lynn, et la beauté expressive de cette danse à deux, amoureuse et brutale, au plus près de l’interprétation rageuse qu’en faisait Nina Simone à Montreux en 1976.
© Hugo Glendinning
Goat, Ballet Rambert
Chorégraphie Ben Duke
Décors Tom Rogers
Lumières Jackie Shemesh
Direction Musicale Yshani Perinpanayagam
Vidéo Will Duke
Assistant Chorégraphie Winifred Burnet-Smith
Avec 16 Danseurs du Ballet Rambert
Chant Nia Lynn
Du 16 au 26 avril 2019
Durée 1h00
Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville
31, Rue des Abbesses
75018 Paris
Réservation au 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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