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Gilgamesh, de Miyagi Satoshi, Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du Quai Branly, Paris

Mar 28, 2022 | Commentaires fermés sur Gilgamesh, de Miyagi Satoshi, Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du Quai Branly, Paris

© Xavier Pierre

 

ƒƒƒ article de Maxime Pierre

Après le Mahabharata en 2006 et le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos en 2016, la troupe du SPAC (Shizuoka Performing Arts Center) revient dans le théâtre Claude Lévi-Strauss du Musée du Quai Branly avec une adaptation de l’antique épopée de Gilgamesh. Fidèle à son histoire, la troupe fait à nouveau dialoguer les cultures en confrontant les arts japonais aux tablettes d’argile mésopotamiennes, vieilles de 2 500 ans.

Nous retrouvons la technique chère au metteur en scène de séparation du corps et de la voix : au centre de la scène, des acteurs en costume, sur le côté, des voix d’acteurs mêlées à celle du chœur des récitants. Sur la trame sonore hypnotique des xylophones – on pense aux gamelans d’Indonésie ou aux tapisseries musicales de Philippe Glass –, le chœur vient greffer des onomatopées, puis des voix, une narration, des dialogues. Les mimes peuvent prendre vie. Des panneaux mobiles – figurant la cité antique d’Uruk – glissent, et dévoilent Gilgamesh, dans ses habits brillants de roi archaïque, puis son compagnon, Enkidu double ensauvagé au casque de plumes multicolores, aux mâchoires de bovidé et aux longs bras de bradypus. Car c’est d’abord l’histoire de deux héros atypiques, d’abord ennemis puis amis inséparables, tous deux arrachés aux forces primitives de la nature. Il faudra l’intervention d’une femme, la courtisane Shamaht, pour que le sauvage Enkidu entre dans la société des hommes et rejoigne Gilgamesh dans ses aventures.

Malgré la beauté somptueuse des costumes – admirable travail de Komai Yumiko et de Kajita Kyoko ! – n’y voyons pas un conte pour enfants ou une simple galerie mythologique. Comme l’Odyssée qu’elle préfigure, l’épopée de Gilgamesh est un conte initiatique : les hommes et les monstres rencontrés sont une méditation sur notre humanité. Humain trop humain : Gilgamesh l’apprend à ses dépens. Dans cette mise en scène, les dieux nous interpellent, non pas directement, mais par la voie mystérieuse des rêves et de signes qu’ils envoient sur terre. Sur ce point, Miyagi déroge à ses habitudes : si le nom et les voix des dieux mésopomiens résonnent – celui d’Anu le dieu suprême, d’Ishtar la déesse guerrière, d’Enlil dieu du Déluge – on ne les voit jamais directement. Ils se cachent. De Ninsoun, la déesse-vache, mère de Gilgamesh, il sera ainsi peu question. Car c’est l’humanité d’argile de Gilgamesh – la nôtre – qui intéresse Miyagi dans ce diptyque.

La première partie, colorée et lumineuse, focalisée sur l’amitié de Gilgamesh et d’Engkidu, et sur leur rencontre avec le monstre Humbaba, prend la forme d’une fable écologique. En lieu et place de l’ogre des contes, la troupe déploie une créature informe, étrange blob ou virus tout droit sorti des mangas, aux nombreux yeux et aux trois têtes en forme de pics, venue défendre la forêt de cèdres. Nous comprenons qu’Humbaba n’est pas un simple monstre mais la forme visible d’un dieu : forêt, montagne, nature. Comme dans les histoires de Miyazaki, inspirées par le shintoïsme, l’homme qui dévaste la nature finit toujours par payer son hybris : Humbaba, maudira les deux amis et obtiendra la mort d’Enkidu.

Le second volet de la pièce est indéniablement plus sombre : seul, en deuil de son ami, Gilgamesh part au bout du monde à la recherche de l’immortalité. Malgré les avertissements d’hommes-scorpions, il franchit une route interdite aux mortels : porté sur la barque Urshanabi, passeur des Enfers en papier mâché, il rencontre l’immortel Uta-Napishtim. Le doute s’installe pourtant sur le bonheur de l’Immortel : être humain, aux gestes hiératiques d’icône – on pense aux statues d’ascètes bouddhiques momifiés à jamais en position assise – Uta-Napishtim nous apparaît sous la forme d’une marionnette vivante manipulée par un assistant vêtu de noir. Et si la vie des hommes, au fond, avait plus de valeur que l’immortalité rêvée ?

Nul doute que Miyagi Satoshi a profondément médité sur cette épopée qu’il réussit à rendre universelle. Gilgamesh, nous dit-il connaît le satori : la véritable connaissance et nous apprenons à goûter, avec lui le plaisir de la vie, et avec toute la troupe du SPAC le plaisir sensuel – coloré, musical, vocal – du théâtre.

 

Enkidu © DR

 

 

Gilgamesh, adaptation et mise en scène : Miyagi Satoshi

D’après la traduction en japonais de Tsukimoto Akio

Musique : Tanakawa Hiroko

Scénographie : Fukasawa Eri

Création costumes : Komai Yumiko

Création maquillage et coiffure : Kajita Kyoko

Création des marionnettes : Sawada Noriyuki

Régie plateau : Yamada Takahiro

Assistance régie plateau : Ogawa Tetsuro

Son : Sawada Yukino

Régie lumière : Hanawa Yuki

Assistance scénographie : Sato Yosuke, Yoshi Yuna

Dramaturgie : Yokoyama Yoshiji

Sur-titrage en français : Corinne Atlan

 

Avec : Abe Kazunori, Daidomumon Yuya, Honda Maki, Ishii Moemi, Kataoka Sachiko, Kijima Tsuyoshi, Kuwahara Hiroyuki, Moriyama Fuyuko, Otoka Kouichi, Ouchi Yoneji, Sakakibara Yuumi, Sakurauchi yu, Sato Yuzu, Sawa Noriyuki, Sekine Junko, Suzuki Haruyo, Tateno Momoyo, Yamamoto Miyuki, Yoshiue Soichiro, Yoshimi Ryo

 

Durée : 1 h 40

 

Du 24 au 27 mars 2022

Jeudi 24 et vendredi 25 à 20 h

Samedi 26 à 18 h

Dimanche 27 à 14 h 3 0 et 17 h

 

 

Théâtre Claude Lévi-Strauss

Musée du Quai Branly- Jacques Chirac

37 Quai Branly, 75007 Paris

Réservations : 01 56 61 71 72

www.quaibranly.fr

 

 

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