Still Life © Jean-Claude Carbonne
ƒƒ article de Denis Sanglard
Still life n’est pas nature-morte. Mais vanité où le temps est comme suspendu et non aboli. Dans sa traduction nature morte est un contre sens car la mort, si elle est en devenir et au travail, n’a pas encore accompli son œuvre. Still life ou la suspension et la captation d’un instant, la métaphore inversée et injonction au carpe diem avant l’irrémédiable. S’inspirant des vanités du XVIème siècle, voire du XVIIème siècle, de la gestuelle picturale de la martyrologie et de l’art du portrait, souvent corollaires, Angelin Preljocaj signe une œuvre sombre, on songe à Zurbaran et au Caravage, où les corps pâles et dentelés de noirs, découpés par la lumière et l’obscurité, entre chien et loup, se substituent aux objets propres aux vanités, fruits, crânes, couronne, oiseaux… exposés là en contrepoint, dénonçant l’absurde de notre condition précaire, en sursis. Le corps, hanté et sculpté par la gestuelle précise et picturale, parfois mystérieuse, obscure, devient vanité. Still life donc, temps suspendu, mouvements, geste de même, en attente. Un mouvement mesuré, à la lenteur majestueuse et rêveuse, mélancolique et méditative, traversée de fulgurances guerrières et de colères soudaines. Où le danseur est à la fois le martyr et le bourreau. Angelin Preljocaj joue fortement des contrastes, des tensions contradictoires. Entre le corps qui s’abandonne et la main qui saisit, le corps qui se meurt et celui qui donne la mort. Entre poses hiératiques et métamorphoses bouillonnantes, reprend le vocabulaire pictural, le geste comme signe, entre signifiant et signifié et sa charge symbolique, qu’il file avec brio comme on file la métaphore, jusqu’à l’en détacher, jusqu’à l’abstraction. Comme les danseurs se détachant de l’objet symbolique un temps porté pour en revêtir la charge, en être la transfiguration et la métonymie, préfiguration du happening où le corps devient à la fois le matériau, le support et le discours. Angelin Preljocaj en puisant dans le vocable des vanités retrouve la puissance signifiante du geste dansé, entre baroque dans son exacerbation et contemporain dans son abstraction pure. Entre les deux pendule ce ballet, cette danse macabre et vitale. C’est revenir à l’étymologie du terme geste, de son verbe dont la traduction est « porter ». Et c’est bien à cette portée du geste, son poids, sa symbolique, du mouvement et du corps dans sa puissance évocatrice auquel Angelin Preljocaj revient en toute humilité ou presque. Danse narrative, fortement plastique et inventive, mais dont le discours ici est réduit à l’essentiel, pas ou peu d’intrigue, de fable, mais un message lapidaire porté par le geste, message qui libère la danse, n’oblitère pas le mouvement, ne le contraint pas, ou du moins a minima, et lui offre une liberté, une ouverture dans l’interprétation. En cela il rejoint avec justesse le genre pictural dont il s’inspire, la vanité, proposant de même une méditation autour de la mort et de la vie, loin de la fresque au plus près de l’intime.
Still life est précédé de Ghost, pièce courte, que l’on peut considérer comme un malicieux pastiche, est un hommage à Marius Petipa, un songe, une variation classique, mais revisité, autour du lac des cygnes.
Ghost © Jean-Claude Carbonne
Ghost chorégraphie d’Angelin Preljocaj
Musique E. Cooley & Blackwell, P.L Tchaïkovski
Création sonore 79D
Costumes Marie Blaudie
Lumière Eric Soyer
Avec Mirea Delogu, Antoine Dubois, Nuriya Nagimova (Ballet Preljocaj), Anna Gueho, Alice Leloup (ballet de l’opéra national de Bordeaux)
Still Life chorégraphie d’Angelin Preljocaj
Musique Alva Noto et Ryuichi Sakamoto
Création sonore 79D
Scénographie et costumes Loris Dumeille
Lumières Eric Soyer
Avec Margaux Coucharrière, Verity Jacobsen, Simon Rippert, Redi Shtylla, Anna Tatarova et Cecilia Torres Morillo
Du 17 au 21 avril à 21h
Le CENTQUATRE-PARIS
5 rue Curial
75019 Paris
Réservations 01 53 35 50 00
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