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« Gaudeamus » d’après Sergueï Kaledine, de Lev Dodine, au TGP, MC93 hors les murs-Le Standard Idéal

Mar 21, 2015 | Commentaires fermés sur « Gaudeamus » d’après Sergueï Kaledine, de Lev Dodine, au TGP, MC93 hors les murs-Le Standard Idéal

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

gaudeamus-web-1Gaudeamus – Lev Dodine – DR

Gaudeamus. Oui réjouissons-nous comme l’indique ce titre, hymne étudiant du treizième siècle des universités du Nord. Réjouissons-nous que Patrick Sommier, directeur de la MC93, ait convaincu Lev Dodine de reprendre cette magnifique création créée en 1990. Inspirée de « Bataillon de construction » de Sergueï Kaledine, travail de fin d’étude des étudiants du théâtre Maly de Saint-Petersbourg, c’est une fresque, une vision de l’URSS terrible et magnifique, que l’on aurait bien tort de croire nostalgique.

La vie en Sibérie d’un bataillon d’appelés à la veille de la quille. Les exercices militaires et les corvées de latrines. La frustration sexuelle. Les filles et l’alcool. Le racisme, l’antisémitisme. Les trouffions paumés, les officiers sadiques. L’abrutissement quotidien. Un univers rude, violent, vite absurde, contre lequel on se cogne salement, contre lequel on tente de résister. On boit sec. On flirte, on baise. On viole. Et dans ce paysage de merde qu’on ne finit pas de nettoyer, de neige qui vous glace, ou nul n’est épargné, surgissent des moments d’humanité, de poésie qui vous déroute soudain. Où le rêve se substitue à la réalité crasseuse d’une URSS bientôt décomposée. Le rêve nostalgique d’une Russie idéalisée, celle d’avant, celle de Pouchkine. Quelle fille à soldat n’a pas rêvé d’être Tatiana, quel trouffion Onéguine ? Lev Dodine tord la réalité joyeusement, crée des images étonnantes et décalées qui illuminent la noirceur, la violence, de certaines scènes. Un garde-à-vous se transforme en ballet hilarant. Dans un bordel on s’envoie en l’air sur un piano descendu miraculeusement des cintres. Une large babouchka courtisée danse la valse à mille temps de Brel, mille temps qui n’en font plus que deux quand il faut de nouveau marcher au pas… Car le rêve claque trop vite comme ces ballons rouges s’envolant des tinettes dans un moment d’euphorie et de fête trop arrosée. Bientôt éclatés par la troupe en folie, ce ne sont plus que des tâches de sangs sur la neige après un viol collectif… C’est une vision ironique et désabusée, sans concession, d’une armée déconfite mais surtout d’hommes et de femmes désemparés aux prises avec une réalité idéologique absconse, – un régime en lambeaux sur lesquels ils n’ont aucune prise -, et leurs rêves.

Et pourtant rien de triste dans cette brutalité des faits à peine tempérée par le lyrisme et l’onirisme heureux de certaines scènes. Le rire balaie impromptu l’émotion. Politesse du désespoir ou âme slave allez savoir. On chante beaucoup. Airs de folklore russe ou rengaines pop, airs d’opéra. Les Beatles, au risque de se faire entendre, quand on rêve d’Amérique. La musique est partout. On danse aussi. C’est un grand tourbillon qui tient parfois de la revue, du cabaret. Tout cela avec fluidité. Ils sont jeunes et d’une énergie époustouflante. Pas d’esbroufe mais du talent brut. C’est un maelstrom continu, une tempête qui s’abat sur ce plateau en pente piégé de trappes, entre terriers et tinettes, par lesquels ils entrent et disparaissent, comme avalés. Le contexte politique a changé depuis les années quatre-vingt-dix. L’URSS n’est plus. Mais « Gaudeamus » ne participe en aucun cas d’une certaine nostalgie. Loin de là. Non, bien au contraire, il semble nettement avoir encore plus d’acuité aujourd’hui. Et c’est d’autant plus inquiétant…

« Gaudéamus » d’après «Bataillon de construction » de Sergueï Kaledine
Mise en scène et adaptation de Lev Dodine
Scénographie, Alexei Porai-Koshits
Collaboration artistique, Oleg Dmitriev, Valery Galendeev
Formation des acteurs, Mikhaïl Alexandrov, Evgeni Nikiforov, Dmitri Koshmin, Yuri Vasilkov
Direction technique, Evgeni Nikorov
Avec, Dana Abyzova, Aleksandr Bykovskii, Arina Fon Riben, Pavel Gryaznov, Ekatarina Kleopina, Arthur Kozin, Leonid Lutcenko, Philip Mogilnitskiy, Aleksei Marozov, Maria Nikovorova, Stanislas Nirolskii, Daria Rumientseva, Evgenii Serzin, Stanislas Tkachenko, Beka Tculukidze

Théâtre Gérard Philippe
CDN de Saint-Denis
59 bd Jules-Guesde
93207 Saint-Denis
Du 19 au 23 mars 2015 à 20h
Le dimanche à 15h

Réservations  TGP : 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
Réservations MC93 : 01 41 60 72 72
www.mc93.com

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