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Fuglane, conception d’Hélène Rocheteau, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE

Mar 27, 2024 | Commentaires fermés sur Fuglane, conception d’Hélène Rocheteau, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARDANTHE

 

© Loran Chourrau

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Qu’est-ce qu’un monde intérieur, sinon le monde tel qu’on devrait le voir, le ressentir, sinon le juste rapport qu’il faudrait entretenir avec lui, nourri de curiosité, réhaussé d’amour. Non plus l’envisager comme un profit qu’il nous faudrait prélever, mais comme une partie de nous-même et nous-même une partie de ce tout. Ce monde intérieur, il est celui de Mattis, le personnage du roman Les oiseaux de l’auteur Norvégien Tarjei Vesaas, dont s’inspire Fuglane, la prodigieuse et entêtante pièce chorégraphique conçue par Hélène Rocheteau et interprétée par Vincent Dupuy. Ce monde intérieur submerge, dès les premiers instants, l’espace et le temps. La lumière y est vapeur, organique et mystique. Plutôt que rompre l’obscurité, elle s’y insinue, comme une poche amniotique, comme une veine rocheuse. Vincent Dupuy est comme penché en lui-même, absorbé et pourtant irradiant de présence. Transparent et vibrant dans son ouverture au monde. Comme un sourcier sur le fil de sa baguette, ses pas, ses gestes, développent leurs harmoniques au diapason de l’Univers. L’interprète de Fuglane est un médium : il nous engage dans un voyage au gré de ses sensations, de ce qu’il traverse comme de ce qui le traverse. Fuglane est un transport émotif qui nous saisit au plus profond. Sa danse est un apprentissage du sensible, un arpentage du monde qu’il lui faut couvrir, ouvrir, des mains et des pieds. Les mouvements freinés et arrêtés par la viscosité de l’air se prolongent, prennent un invisible relais en son for intérieur dans une circulation ininterrompue. Intériorité et extériorité sont ici miraculeusement interchangeables. Ce qu’il fait ou défait à l’air libre noue autant ses liens avec l’âme. Si la danse de Vincent Dupuy est de l’ordre de la pensée magique, c’est en premier lieu pour cela : cette capacité inouïe à la transparence, à ce que les gestes s’effectuent dans un dialogue intérieur où le monde s’institue. Fuglane est une danse habitée, non pas au sens d’une incarnation, d’une possession (si l’on pense à Mascarades de Betty Tchomanga), mais une danse qui ferait l’expérience de renaître au monde, de le découvrir, de tenter d’en saisir par son corps les anfractuosités, la fraîcheur ombreuse, les verticalités, les élans, les solitudes, les gouffres, les repos, les tourbillons et de s’y faire une place. Ce que le corps de Fuglane vit et danse est l’empreinte de soi au monde tout autant que l’empreinte du monde en soi. Il y a une sidérante beauté dans cette communion qui éclaire le sourire de Vincent Dupuy. Tout comme dans la fine et poétique ossature sonore produite par les instruments de musique conçus et joués à distance par Florent Collauti, vertèbres de pizzicati et exhalaisons de anches d’une sourde densité végétale et cosmique.

Fuglane touche à l’irréductible part d’enfance en chacun de nous, à celle de Vincent Dupuy, à ce chemin lorsqu’on l’ouvrit pour la première fois et que l’on marquera à force de repasser par les mêmes pas. Dans cette ascèse qui est une richesse, l’homme apprend le langage des oiseaux, touche à la véritable sainteté. Une dernière image encore, bouleversante, inestimable offrande pareille à celle du dernier plan de Tropical malady du cinéaste Apichatpong Weerasethakul, où le spectateur se perd de longues et vertigineuses minutes dans la vision d’une tête de tigre au milieu des feuillages, de son œil luisant et fixe : le visage de Vincent Dupuy, lumineux, immobile, à l’orée de la forêt de nos regards. Seul un œil est encore visible, brillant de l’éternité et d’une larme où se condense l’infini du monde.

 

© Loran Chourrau

 

Fuglane, conception d’Hélène Rocheteau

Chorégraphie : Hélène Rocheteau, en collaboration avec Vincent Dupuy

Interprétation : Vincent Dupuy

Musique : Florent Colautti

Lumières : Gweltaz Chauviré

Durée : 40 minutes

 

Mardi 19 mars à 19h

 

Théâtre de Vanves (salle Panopée)

12, rue Sadi Carnot

92170 Vanves

Tél : 01 41 33 93 70

 

https://www.theatre-vanves.fr

 

 

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