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FUCK ME BLIND, de Matteo Sedda, au Centre Wallonie-Bruxelles, dans le cadre du festival Artdanthé, à Paris

Avr 06, 2025 | Commentaires fermés sur FUCK ME BLIND, de Matteo Sedda, au Centre Wallonie-Bruxelles, dans le cadre du festival Artdanthé, à Paris

 

© Vibe Stalpaert

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La ronde de nuit embrasse celle de nos désirs. La danse est celle qui est en mouvement avant même que le mouvement ne surgisse, que les corps ne lui cèdent. Au commencement, il n’y a rien à voir sinon les observer s’envisager, et c’est cela même qui d’emblée nous lie aussi surement que la chèvre à son pieux. Ils sont immobiles, deux hommes, débardeurs échancrés, bermudas, cheveux noirs geais et regard ténébreux pour l’un, tête rasée et moustache pour l’autre. Leur immobilité est un camouflage et un vertige. Dans l’intensité muette de leur contemplation, se faisant face comme deux pôles magnétiques, une invisible force d’attraction et de répulsion régule leur proximité. FUCK ME BLIND, c’est avant tout cela : un regard infini où les deux interprètes ne se quittent pas d’une semelle, où l’on plonge soi-même comme dans une encre noire, hugolienne. Ce regard est une partition invisible, secrète, une dramaturgie et un sous-texte où les mots seraient de trop et trop peu à la fois.

Imperceptiblement un écart physique s’immiscera, tel un doute ou une défiance soudaine, un léger déséquilibre pareil à un contrapposto dans cet organisme formé par ces deux corps. Et de l’immobilité et du face à face originaires naitra un mouvement circulaire, évitement, fuite et poursuite tout à la fois, dont la vitesse de giration mais aussi l’amplitude seront appelées à varier. La pièce de Matteo Sedda n’a rien de formel alors même qu’elle en déploie les atours, elle est au contraire viscéralement incarnée par ses deux interprètes. Dans cette circularité entêtante se déploie celle du désir et de sa compagne, la peur. FUCK ME BLIND ne se laisse pour autant enfermer dans aucun récit, pas même celui d’un cruising (drague homo souvent nocturne, note du traducteur pour les incultes), FUCK ME BLIND est imminence et instant volé. Ce qui est prodigieux : sa capacité à intensifier la puissance du détail habituellement inaperçu. Dans ce manège borgésien, l’éphémère du vivant, une œillade, un retrait, un léger sourire, un rougissement, prennent des proportions prodigieuses. Ce qui est infime et fugitif surgit avec contraste, densité, et s’inscrit profondément en soi avec la même magie archaïque qu’une sorte de proto-cinéma, flip book animé par la succession d’apparitions et disparitions des visages produite par la rotation des corps. Comme chez Bill Viola, l’instant se déplie et se déploie dans toute sa splendeur alors même que la pièce n’opère aucune forme de ralenti technique.

Sur le long cours, écartelant ainsi nos perceptions temporelles, la pièce de Matteo Sedda produit encore la surprenante sensation, sans que pourtant rien de narratif ne s’inscrive, d’assister à une vie en accéléré, à une rencontre, une passion, un désamour, une séparation, comme dans un ultime récapitulatif. FUCK ME BLIND se mesure à l’échelle d’une existence comme à celle du coup d’un soir, sa franche sémiotique des corps (d’une langue exhibée, d’un pouce mouillé à un téton caressé, un cou sous l’emprise d’une main) participe de cette dichotomie temporelle où la brûlure de l’instant se le dispute à la perspective rétrospective. Les corps tournent comme la vie sur elle-même, ils sont tels les balanciers d’un mouvement perpétuel ou encore telles les pales de l’imaginaire, barattant nos propres souvenirs. Si Matteo Sedda dit s’être inspiré du film Blue de Derek Jarman, rectangle bleu immuable à l’écran tandis qu’une voix délivre le testament poétique et politique du réalisateur décédé quelques mois plus tard du sida, FUCK ME BLIND est une œuvre sans parole mais nullement muette, et parle par le corps et pour le corps dans la lumière bleutée d’une nuit de cinéma balayée par les phares des voitures épinglant le ballet des amants. Y exultent, comme les perles de sueur sur la peau, la plénitude et la couleur du vivant.

 

© Vibe Stalpaert

 

 

FUCK ME BLIND, conception et direction de Matteo Sedda

Chorégraphie et performance : Marco Labellarte, Matteo Sedda

Son : Gio Megrelishvili

Dramaturgie et lumières : Margherita Scalise

Design costume : Maarten Van Mulken

Mentors : Igor Urzelai Hernando, Moreno Solinas

 

Durée : 40 min

Le 26 mars 2025 à 20h dans le cadre du festival Artdanthé

 

Centre Wallonie-Bruxelles

46 rue Quincampoix

75004 Paris

Tél : 01 53 01 96 96

https://cwb.fr/

 

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