© Todd Macdonald
ƒƒ Article de Denis Sanglard
From England with love… déclaration d’amour à l’Angleterre ? Oui et non. Hofesh Shechter jette un regard critique sur son pays d’adoption. Terre de contrastes, de paradoxes, tiraillée entre traditions bien ancrées et modernité affirmée, entre breakfast et attitude résolument punk, pump and circumstance. Une culture disruptive, où sous le vernis d’un flegme que l’on dit légendaire sourd aussi une violence sociale et politique. Mais foin de politique ici, c’est une carte postale, un regard subjectif qui n’échappe pas sciemment aux clichés, vision désamorcée par une certaine ironie, mais qui pointe aussi ce qu’il peut y avoir d’explosif dans cette schizophrénie d’un pays tiraillé entre des pôles aussi contraires. La danse ici ne cesse de sortir de ses rails, de se déglinguer sévère avant de se reprendre toujours provisoirement. Comme ces uniformes scolaires so british vite dépenaillés, ces élèves aussitôt débraillés, après un premier tableau d’une douceur trop angélique pour ne pas cacher une vérité plus âpre et souterraine. On retrouve bien évidemment ce qui définit la danse de ce chorégraphe, une hybridation permanente de styles, de la danse urbaine au folklore, ici made in United Kingdom of course, mais pas que, ce décloisonnement têtu et toujours tendu, un art consommé de la rupture sèche et de la fluidité absolue dans un même élan, et une énergie infernale menée jusqu’à la transe parfois et l’épuisement volontaire. C’est d’ailleurs ce qui nous frustre ici, de retrouver un condensé du savoir-faire d’un chorégraphe qui ne cherche pas à se renouveler, se répétant quelque peu, et là semble tourner en rond. Pour qui ne connaît pas Hofesh Shechter, c’est une entrée en matière, certes, un reader’s digest parfait et sans défaut, mais quoi ?… Rien de neuf donc sous les parapluies de l’Angleterre. De tableaux en tableaux, que découpe et sublime la lumière de Tom Vissier, c’est une narration un tantinet théâtrale – et cette théâtralité, elle, est nouvelle ou du moins plus affirmée que jusqu’alors – souvent confuse dans son propos et ses intentions et dont on peine à comprendre les références évènementielles voire historique. Des corps mitraillés, des cadavres que l’on traîne, des scènes de cannibalisme côtoient des beuveries estudiantines, de pures battles sur catwalk, des five o’clock tea virant à la catastrophe ou des instants curieusement champêtres et d’une grande douceur. Fantasmes ou réalité historique, en l’absence de clés ou de références nous sommes quelques peu dubitatifs devant ce qui s’apparente parfois à une annus horribilis recommencée. Mais la danse résiste malgré tout à nos préventions. Par l’énergie sans limite déployée sur les musiques sacrées de Thomas Tallis ou Purcell, de William H. Monk et Edward Elgar, et la maîtrise technique imparable et la force de frappe percutante des danseurs de la Shechter II, compagnie créé pour la promotion de jeunes danseurs contemporains, qui n’oblitère pas avec évidence de fortes personnalités engagées ici avec fougue et un talent indéniable dans cette vision d’une Angleterre tant contrastée et qui, avouons-le, dans cet embrassement fébrile et bouillonnant dans son traitement nous échappe sur le fond.
© Todd Macdonald
From England with love, chorégraphie et musique d’Hofesh Shechter
Lumière : Tom Visser
Costumes : Hofesh Shechter
Direction des répétitions : Chien-Ming Chang
Direction technique : Oran O’Neill
Régie lumières : Alan Valentine
Avec : Holly Brennan, Yun-Chi Mai, Eloy Cojal Mestre, Matthea Lára Pedersen, Piers Sanders, Rowan Van Sen, Gaetano Signorelli, Toon Theunissen
Musique additionnelle : Edward Elgar, Thomas Tallis, Henry Purcell, William H. Monk
Du 6 au 18 janvier à 20h
Le samedi à 15h, relâche le dimanche
Durée 1h
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses
75018 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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