© Anthony Devaux
ƒƒƒ article de Hoël Le Corre
Dans le cadre d’un temps fort jeunes créateurs au Théâtre de la Ville, Laurent Charpentier s’allie à l’écriture du dramaturge Philippe Minyana. Les deux comparses ayant déjà beaucoup travaillé ensemble, les mots et la mise en scène s’attellent ici à une épopée intime et familiale, aussi ordinaire que profonde. Ou sans doute, profonde car ordinaire…
Frères et sœur, c’est l’histoire presque banale de trois enfants, avec leurs frayeurs, leurs joies, leurs disputes, leurs peines et leurs rêves. Mais c’est peut-être encore plus le récit de leur mémoire. Car ici, les évènements semblent bien être plus le fruit de leurs souvenirs que de la réalité. Un travail d’archéologues en quelque sorte, qui ouvrent des boîtes, exhument des anecdotes, retrouvent des vêtements… Souvenirs à hauteur d’enfants, donc forcément un peu déformés mais ô combien sincères et irrévérencieux parfois !
Ce sont deux frères et une sœur qui s’amusent autant à vivre ensemble qu’à retisser la toile de leur enfance. A plusieurs reprises, on savoure la façon dont l’aîné se souvient précisément des choses, alors que la puînée tente de raccrocher les wagons et que le cadet, lui, flotte dans un flou mémoriel qui lui ferait croire n’importe quoi. Cette façon de reconstruire le récit familial est si universelle qu’elle vient forcément chatouiller nos propres souvenirs et vient questionner ce qui nous reste de notre passé : a-t-on vraiment vécu ce dont on se souvient, ou nous l’a-t-on raconté, ou le tire-ton de photos jaunies ?
La langue ciselée et rythmée de Philippe Minyana est parfaite pour nous inviter dans le monde d’Igor, Aïda et Paul. Drôle autant que sensible, elle est vient donner du relief à ces trois vies inséparables. Par un jeu juste et touchant, Laurent, Pauline Lorillard et Pierre Moure rendent ces existences particulièrement attachantes et on a plaisir à les voir grandir ensemble, et même à les retrouver à différents moments de leur vie. Trois cellules vivant sous le même toit, cette maison d’enfance que la scénographie retranscrit, sorte de microcosme qu’il faudra bien pourtant que la vie fragmente un jour. Et si déjà les différences de personnalité se construisent dès l’enfance, la vie se chargera de les accentuer mais aussi de gommer certaines divergences, faisant ressortir aussi le poids des tragédies et traumatismes familiaux.
On s’amuse de leurs facéties, de leurs colères naïves et de leurs tentatives de « jouer aux grands ». A moins qu’ils ne le soient déjà et que tout le spectacle ne soit que la construction en direct de leur « légende familiale », succession de petits tableaux ou grande épopée… Et au final, peut-on échapper à cette légende, est-il possible de s’émanciper sans abandonner une partie de soi ? On retrouve avec Frères et Sœur l’obsession de Philippe Minyana pour les fantômes… Mais vous verrez, les rencontrer peut s’avérer salutaire !…
© Anthony Devaux
Frères et sœur, de Philippe Minyana
Mise en scène : Laurent Charpentier
Interprètes : Laurent Charpentier, Pierre Moure et Pauline Lorillard
Scénographie : Gaspard Pinta
Lumières : Laïs Foulc
Durée : 1 h 20
Du 7 au 17 mars 2022
Du lundi au samedi à 20 h
Théâtre de la Ville – Espace Cardin
1, avenue Gabriel
75008 Paris, France
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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