© Julia Gat
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Un carré de lumière au centre de l’immense plateau du Théâtre de la Ville, sorte de zoom (close-up pour emprunter le terme à la proposition de Noé Soulier vue sur la même scène la précédente semaine). Mais plus encore que le carré blanc, c’est la lumière monumentale et comme divine qui impressionne, tombant des cintres, traçant ses rayons pyramidaux. Sous cette lumière, proprement pittoresque, les figures virtuoses s’enchaînent, allient vitesse d’effectuation et d’effacement. Emmanuel Gat inscrit avec une belle évidence ce premier mouvement dans un tableau : les compositions géométriques tracées par l’empilement et l’entrecroisement des corps ne peuvent qu’évoquer la composition picturale classique. Premier morceau introductif de l’album The life of Pablo de Kanye West (2016), Ultralight Beam ouvre Freedom Sonata et convoque paroles et musiques, fusionnant gospel et R&B, dans un puissant chant mystique. Les costumes blancs ou écrus participent également de cet « esprit saint », de cette enfance virginale qui semble ouvrir ce projet.
Si Freedom Sonata fête la liberté par son absence de limite dans sa capacité à agréger les styles de danses, mais également musicaux, puisque en sus de l’album de Kanye West, est également convié un mouvement d’une sonate de Beethoven, cette pièce est de toute évidence à visée programmatique, structurée en séquences presque rhétoriques, que l’on pourrait résumer en suivant simplement l’évolution des lumières et des costumes : Freedom Sonata règle sa course en suivant le passage de la lumière à l’obscurité, du sacré au mondain profane. Assez emblématique, à titre d’exemple, ce geste dans la première partie d’une main posée sur la tête d’un autre danseur agenouillé, à l’évidence une bénédiction, sera repris dans la dernière partie, mais avec une signification complètement opposée puisqu’il s’agira alors de domination, d’asservissement, dans une sorte de chaîne mortifère silhouettée à la manière du Septième sceau de Bergman.
Emmanuel Gat travaille la dimension plastique et spectaculaire dans une sorte d’efficacité. C’est curieusement également là que le bât blesse. Comme si à trop vouloir étreindre, il se perdait. Le grand plateau peut être ainsi déséquilibré assez régulièrement, les courses paraissent alourdies (probablement du fait de leur trop grande distance), et non pas libres et déliées (comme chez Keersmaeker). Surtout, quelque chose de démonstratif empèse certains passages. En particulier, en regard des paroles de certaines chansons de Kanye West reprenant des stéréotypes misogynes, face à cet « explicit content » comme il est dit pudiquement, Emmanuel Gat semble vouloir expliciter sa propre position en contrepied des paroles, ce qui est tout à fait louable, mais surligne le message au détriment de sa danse. C’est peut-être aussi là le nœud d’un problème plus général, celui de la grâce et de la disgrâce, éminemment incarné par Kanye West dont on ne reviendra pas sur les outrances, les propos condamnables, et qui traverse aussi et le fond et la forme de Freedom Sonata.
© Julia Gat
Freedom Sonata, chorégraphie, scénographie et lumières d’Emmanuel Gat
Musique : Kanye West, Ludwig Van Beethoven
Créé avec et interprété par : Tara Dalli, Noé Girard, Nikoline Due Iversen, Pepe Jaimes, Gilad Jerusalmy, Olympia Kotopoulos, Michael Loehr, Emma Mouton, Abel Rojo Pupo, Rindra Rasoaveloson, Sara Wilhelmsson
Durée : 1h25
Du 17 au 21 mars 2025, à 20h
Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet
75004 Paris
Réservations au : 01 42 74 22 77
https//www.theatredelaville-paris.com
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