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« Fragments » de Samuel Beckett aux Bouffes du Nord

Jan 09, 2015 | Commentaires fermés sur « Fragments » de Samuel Beckett aux Bouffes du Nord

ƒƒ article de Victoria Fourel

fragments-slide7© Pascal Victor / ArtComArt

On connaît Beckett pour son théâtre moderne, drôle, froid parfois, reflet sans théorie, sans convention, de sa société. Mais à cause de son goût pour l’humour noir et pour les sujets tels que la finitude et l’aspect vain de la vie humaine, il a une image terne, désespérée. Dans ces fragments, Peter Brook entend redonner de la légèreté et de l’humour à son théâtre.

En une heure seulement, les trois comédiens jouent des instants, des saynètes de l’œuvre de Beckett, extraits moins connus, moins vus et revus, où l’on découvre ou redécouvre l’étendue de son travail : monologues, scènes dialoguées, et même théâtre sans parole. Prenant très souvent pour thème le caractère immuable des événements, et leur répétition sans fin au cours de la vie, le spectacle s’articule autour d’un réjouissant comique de répétition, emmenant avec lui le public, qui se laisse prendre et rit de plus en plus. Mais on rit des situations, on écoute ce qui est dit, et on s’interroge. Beckett et ses fragments tiennent-ils à faire rire, ou bien est-ce le public qui rit pour ne pas pleurer ?

Le texte de Beckett, en anglais surtitré, est déclamé, presque chanté, et on prend plaisir à l’entendre dans sa version originale, et dans un tel espace, qui fait résonner chaque mot, chaque syllabe. Peter Brook et Marie-Hélène Estienne prennent le parti de monter quelques fragments divers, et offrent donc une belle partition à leurs comédiens. Ils jouent leurs scènes avec une aisance parfaite, sans fatigue, et soudain, Beckett se rapproche bien plus du sketch d’humour britannique, plutôt que du théâtre pompeux qu’on lui prête à tort. Cette mise en scène, sobre, aide à cette belle vision du théâtre de Beckett. Elle utilise peu d’artifices, fait rire avec quelques accessoires et beaucoup d’imagination, des noirs entre chaque fragment. Et tout cela, on peut se le permettre, puisque ce théâtre n’a ni la notion du temps, ni du lieu, ou de l’identité.

Ainsi les metteurs en scène prennent le temps de perdre leur public pour le récupérer ensuite (dans le somptueux premier monologue interprété par Kathryn Hunter, notamment), et ne cherchent pas à raconter une histoire, mais y parviennent malgré tout, grâce à l’écriture précise de la parole et du geste que leur a offert Beckett. Mais la durée des fragments et du spectacle nous laisse un peu sur notre faim. On aurait aimé voir les comédiens jouer plus de fragments, et peut-être trouver dans cette mise en scène un véritable point de vue sur les personnages, une évolution tangible dans le traitement des scènes, chose qu’empêche la forme ‘fragments’ adoptée par les metteurs en scène. On voit de très beaux comédiens, de très belles lumières et de très beaux textes, mais manque un élément de surprise. On sort tout de même avec l’envie de se plonger dans les œuvres dont sont tirées ses fragments, convaincus que Beckett avait très envie de nous faire rire, finalement.

De Samuel Beckett
Mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Lumières de Philippe Vialatte
Spectacle en anglais, surtitré en français.
Avec Jos Houben, Kathryn Hunter et Marcello Magni

Du 6 au 24 janvier 2015

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris
Métro 2 La Chapelle
www.bouffesdunord.com

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