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Flesh, de Sophie Linsmaux et Aurélio Mergola, mis en scène par Sophie Linsmaux et Aurélio Mergola, Gymnase du Lycée Mistral, Festival d’Avignon In

Juil 20, 2022 | Commentaires fermés sur Flesh, de Sophie Linsmaux et Aurélio Mergola, mis en scène par Sophie Linsmaux et Aurélio Mergola, Gymnase du Lycée Mistral, Festival d’Avignon In

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Flesh est un peu un objet théâtral non identifié, qui relève d’ailleurs davantage de la performance que du théâtre en tant que tel, notamment en raison de l’absence de véritable dramaturgie et de la quasi inexistence de la parole (une chanson tout de même dans le 4ème opus et un prénom crié ad nauseam dans le 3ème).

Empêchés de présenter No one en 2020, les deux auteurs, metteurs en scène et comédiens belges présentent en cette 76ème édition du In quatre nouvelles pièces courtes, qui tiennent dans un format total de 85 minutes, dans un espace scénique aux dimensions assez réduites, et dont les transitions se font au moyen d’un rideau noir savamment éclairé qui encadre en carré les changements de décors. Se succèdent des univers réalistes forts différents, mais qui vont tous engager avec intensité les corps des personnages, ou plutôt leur chair si l’on veut rester fidèle au titre général du spectacle, car le titre est en anglais, comme ceux de chaque pièce et le nom de la compagnie (Still Life). So what ?

Flesh débute avec And Yet, qui se déroule à l’hôpital. Un fils (probablement) va visiter son père mourant. La moitié de la pièce constitue en la préparation « physique » de la visite, qui se passe en effet efficacement de paroles : répondant aux injonctions gestuelles d’une aide-soignante, le jeune homme voit se succéder moult ablutions au gel hydroalcoolique avant et après avoir enfilé combinaison, masque chirurgical, lunettes de protection, gants dont l’étanchéité avec les manches est assurée par du gros scotch transparent. La scène est très comique car elle résonne évidemment avec les actions nouvellement apprises et répétées depuis deux ans par chacun de nous, gestuelles pour une part devenues automatiques et qui ont perdu leur étrangeté initiale. La paradoxale humanité de certains gestes des soignants (une main délicate sur l’épaule d’un patient qui dort pourtant) alliée à la mécanisation qui prend imparfaitement le relais (personne ne vient jamais immédiatement quand on actionne la fameuse sonnette accrochée au lit du patient lorsque le moniteur s’affole et que le visiteur panique) sent (affreusement) le vécu… Mais quand le besoin de toucher, entourer les corps aimés, se voit entravé par les branchements et autres obligations, la seule solution est de passer outre les règles et faire corps avec l’être à protéger et inverser s’il faut l’ordre des choses en prenant son père dans les bras. La première pièce en fait une démonstration tristement réussie.

Flesh se poursuit avec Kathy and John, les prénoms d’un couple en passe de célébrer un événement dans son appartement bobo. Du champagne est débouché, des petits fours sortis et un cadeau approché par l’homme dont le visage est entouré de bandelettes. A-t-il été victime d’un accident ou à l’initiative d’une opération de chirurgie esthétique ? La seconde hypothèse semble la bonne. Il offre à sa compagne la primeur de sa transformation avec une paire de ciseaux pour qu’elle découvre aux sens propre et figuré son nouveau visage. L’apparence « Bogdanov » l’effraye alors qu’elle semble convenir à l’intéressé. Mais le remodelage est fragile et quelques gestes imprudents suffisent à le défigurer totalement, en faisant passer une situation hyper-réaliste à un moment quasi fantastique, tandis que cela évoque au spectateur aussi bien le côté tragique d’Elephant man (Lynch) que l’extravagance de La piel que habito (Almodovar).

Love Room, troisième pièce de Flesh prend place dans un local de réalité virtuelle où une jeune femme, sous l’œil blasé de l’employé, choisit le programme Titanic. La comédienne Muriel Legrand réalise une performance impressionnante, qui ne peut évidemment parler qu’à ceux ayant vu le film et se souvenant des quatre scènes (cultes), ce qui était le cas de tous les spectateurs du gymnase du Lycée Mistral. La solitude mentale qui irrigue et clôt cette partie est d’une violence inouïe, car c’est la seule pièce où il n’y aura aucun rapport tactile, les besoins de la chair ne pouvant s’exprimer que virtuellement donc, dans une scène d’amour d’anthologie avec le parquet à défaut d’un Leonardo DiCaprio en chair et en os…

Enfin, Embrace, dernier « épisode » de Flesh est encore plus cruel que les précédents. Des frères et sœurs se retrouvent devant le portrait de leur défunte mère dans son café ringard et vont se déchirer comme on pouvait le deviner dès les premières secondes pour une raison moins évidente : le partage des cendres, qui se fait lui aussi au sens propre et figuré. La violence passe par les regards puis par les corps jusqu’à ce qu’un espoir de solidarité familiale, humaine tout simplement, transparaisse dans les dernières secondes, face à la vie peut-être qui va surgir.

Est-ce que l’ensemble fait théâtre ? Ce n’est pas certain. Mais il serait dommage de bouder la créativité et l’inventivité des deux auteurs à partir de situations dont la banalité quotidienne est mise en scène avec une précision confondante. Les performances par ailleurs très narratives interrogent, surprennent et provoquent des éclats de rires irrépressibles qui sont indéniablement cathartiques. N’est-ce pas notamment cela que l’on vient chercher dans les arts de la scène ?

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Flesh, de Sophie Linsmaux et Aurélio Mergola

Mise en scène : Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola

Scénario : Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola, Thomas van Zuylen

Mise en espace et en mouvement : Sophie Leso

Scénographie : Aurélie Deloche assisté de Rudi Bovy, Sophie Hazebrouck

Accessoires : Noémie Vanheste

Costumes : Camille Collin

Lumière : Guillaume Toussaint Fromentin

Son : Eric Ronsse

Voix off : Stéphane Pirard

Masques et marionnettes : Joachim Jannin

Stagiaire scénographie : Farouk Abdoulaye

Couturière : Cinzia Derom

 

Avec :  Muriel Legrand, Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola, Jonas Wertz

 

Durée 1 h 25

Jusqu’au 25 juillet, 18 h

 

Gymnase du Lycée Mistral

20 boulevard Raspail

84 000 Avignon

 

Tournée en 2022-2023 :

Festival de Liège les 13 et 15 février 2023

Théâtre les Tanneurs de Bruxelles du 18 au 22 avril 2023

 

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