© François-Louis Athènes
ƒƒƒ Article de Corinne François-Denève
Le spectacle tourne depuis 2016 : il n’est pas une surprise. Son titre, F(l)ammes donne idéalement des idées au critique fatigué : ce « F(l)ammes » met le feu aux planches tous les soirs depuis donc plus de deux ans. Au départ, une idée de théâtre documentaire menée par Ahmed Marani : une trilogie, appelée « Face à leur destin », qui donne la parole à des hommes, dans Illumination(s), à des femmes dans ce F(l)ammes, et bientôt à des porte-paroles des deux sexes, dans « des garçons et des filles ». Les témoins interrogés sont de jeunes gens, « issus de l’immigration », vivant dans des quartiers dits « sensibles ».
De sensibilité, il en est beaucoup question dans cette « performance spectacle ». Après avoir raconté des bribes de leurs vies, en amont du spectacle, à Ahmed Marani, Anissa A., Chirine, Laurène, Dana, Yasmina, Maurine, Anissa K., Nina, Habi et Inès, les jeunes f(l)ammes en question, en redisent sur scène des bouts, face public. Au début, on pense à un dispositif scolaire et didactique – jeunes filles assises sur une chaise, attendant de passer devant le micro – un vieux micro de TSF, ou de prise de son léchée pour crooners du temps jadis. Les thèmes évoqués sont en un sens attendus : le fossé des générations, la difficulté à se dire « française » ou « d’ailleurs », le rapport au père, à la mère, à son corps, le racisme ordinaire, les filles renvoyées au bled, l’excision, l’amour, la vie, l’avenir incertain. Mais il y a toujours, pour lancer ces « tranches de vie » pittoresques, insolites, et en même temps exemplaires, une amorce, en force de début de conte, comme un désir de fiction. Et puis il y a ce souffle de liberté, qui fait exploser la linéarité des trajectoires, la scénographie, la ligne droite du spectacle, pour le faire éclater en un spectacle vivant, si vivant. Des voix off qui se chevauchent, une envie de se lever et de danser, de balancer des banderoles, de hurler « Freedom » comme Aretha – sur scène, et aussi dans la salle, où on a parqué des scolaires captifs, rétifs, qui finalement se mettront debout, hurleront à tout rompre aux saluts – enfin convaincus, une fois dans leur vie peut-être, que les moments de théâtre, les vrais, c’est aussi ceux-là.
Chacune de ces (jeunes) femmes a une histoire. Drôle, tragique, burlesque, terrible, banale et extraordinaire. Chacune de ces comédiennes a un style – l’ « Afro-Punk » a paradoxalement la diction la plus classique. Toutes ont un corps, une prestance, une aisance, une voix, qui marque et émeut. Ces « histoires d’une nation », au féminin, ne sont pas dénuées de petites facilités, de jolies maladresses. Mais ces filles-là, sorties de la forêt, comme elles le disent elles-mêmes par ironie, ou du bled, ou d’on ne sait quel monde d’ombres et de magie, ont décidément tout compris au théâtre – elles brûlent les planches avec une fraîcheur, une rage, une beauté, et une envie communicatives au possible.
F(l)ammes, une performance spectacle d’Ahmed Madani
Assistante à la mise en scène Karima El Kharraze
Regard extérieur Mohamed El Khatib
Avec Anissa Aou, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Nina Muntu, Haby N’Diaye, Inès Zahoré
Création vidéo Nicolas Clauss
Création lumières et régie générale Damien Klein
Création sonore Christophe Séchet
Chorégraphie Salia Sanou
Costumes Pascale Barré, Ahmed Madani
Coaching vocal Dominique Magloire, Roland Chammougom
Régie son Jérémy Gravier
Photographie François Louis Athénas
Durée 1h40
Du 5 au 15 octobre 2018
Vendredi, lundi, mardi à 20h
Samedi à 18h
Dimanche à 16h
Jeudi à 19h
Relâche le mercredi
Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gesnat, 94200 Ivry-sur-Seine
Réservations : 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com
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