© Ange-Gael Malan
fff article de Denis Sanglard
Il y a Christelle, dite Gros Camion pour ses formes généreuses et imposantes et sa gouaille cash. Il y Anoura surnommée La chinoise pimentée pour la rapidité de ses mouvements et ses sauts acrobatiques vertigineux. Toutes deux sont ivoiriennes, ont grandi dans le quartier populaire de Derrière Rail à Abobo, au nord d’Abidjan. Avec pour armes redoutables et s’imposer, la danse et précisément le coupé-décalé et son dérivé le roukasskass. Là sur ce plateau, elles font le show, formidableet dynamique performance survitaminée. Christelle, plus diserte, et Anoura se racontent, chantent et dansent, décrivent leur quartier. Artiste hors-normes, loin des canons, clichés et stéréotypes, d’une énergie de dingue, ont la langue affutée et le corps aiguisé qui en impose par leur forte présence. Un corps manifeste pour Gros Camion, qu’elle assume avec aplomb et exhibe avec un humour tranchant, le proposant même à la vente et à la découpe, se foutant bravache de ce que l’on peut en dire, parce que ce surpoids doublé de son talent indéniable fait d’elle une reine absolue dans son quartier. Tandis que La chinoise pimentée, athlétique, s’impose par ses sauts acrobatiques et une vitesse d’exécution dans le mouvement qui en remontre aux hommes plus enclin à rejeter les danseuses en arrière-plan à rouler simplement du bassin. La danse ici est un vrai sport de combat et d’émancipation. Qui raconte aussi combien leur situation n’est pas si simple, voire franchement injuste. Combien de danseuses sont exploitées par les musiciens qui souvent ne les paient pas lors de leur prestation dans des clips, leur promettent une carrière qui n’aura de fait jamais lieu. Danseuses dont le talent non reconnu, dénié, s’évaporeront comme peut s’évaporer le pétrole. Christelle Ehoué et Anoura Aya Larissa Labarest, sous la houlette attentive et volontaire de Nadia Beugré, sont un formidable pied-de-nez, certes fragile, à cet avenir incertain.
La chorégraphe et danseuse Nadia Beugré avec ces deux performeuses culotées dynamite joyeusement les codes de la représentations, le plateau devenu un formidable espace de liberté et d’expression sans contrainte apparente. Ce qui pourrait paraître pour un joyeux foutoir est en fait d’une grande maîtrise. Il règne sur le plateau une liberté frondeuse qui explose le cadre de la scène et déborde jusque dans le public interpellé dûment. Pétrissant une pâte à pain au long de cette performance et dont elles font une sculpture mouvante et organique qui participe au récit par ses métamorphoses, comme autant d’illustrations et d’expressions imagées. Qu’elles s’en revêtissent pour un surréaliste défilé de sapeurs, remontant aux sources du coupé-décalé et s’appropriant ainsi et les retournant avec insolence les codes de la masculinité, mais pouvant aussi évoquer aussi bien les Ball Room de la communauté noire LGBTQ+ exprimant là le sentiment d’une même marginalité dans leur condition et une même vulnérabilité, où qu’elles la morcellent, la roulent, la mettent en boule, s’y lovent, la projettent sur les murs, il y a sous-jacent, toujours dans ce contact singulier avec cette matière sensuelle et malléable ce rapport au corps hors-norme que l’on sculpte de même à sa façon et impose comme un moyen de lutte et d’émancipation, d’affirmation de soi sans concession.
© Ange-Gael Malan
Femmes-Pétroles, direction artistiques Nadia Beugré
Assistant à la direction artistique : Christian Romain Kossa
Avec Anoura Aya Larissa Labarest et Christelle Ehoué
Du 19 au 24 septembre 2023
Du mardi au jeudi à 20h, vendredi 21h, dimanche 15h, relâche sam.
Théâtre de la Ville / Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations : www.theatredelaville-paris.com
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