© Jean-Michel Coubart
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Un théâtre de rue qui se serait emparé de la scène des nantis. Comme une manif, comme un ardent rassemblement politique, comme une révolte en marche, poing levé, tête relevée, corps dressé, quittant les pavés étudiants, ouvriers, et qui se fomenterait dorénavant depuis les planches des arts vivants. FEU ! Ceci n’est pas une pipe ni une introduction à la lecture de Karl Marx fait œuvre dans ce déplacement, FEU ! nous met en marche au-delà de nos frontières esthétiques. Ce qui est ici proposé est un out qui deviendrait un inside : conçu initialement pour l’espace public, scénographié et accompagné artistiquement par Générik Vapeur, le projet de Nadège Prugnard s’installe entre les murs sans s’embourgeoiser. Le détournement est ailleurs, est un enrichissement : les fumigènes, les feux de bengales, se déterritorialisent et agrègent aux cortèges de nos soulèvements politiques les clairs-obscurs, les ombres et lumières, les apparitions et les brumes rougeoyantes du cabaret. Cet extérieur envahi par la chienlit, selon les mots repris par le pouvoir ad nauseam à chaque nouvelle époque, trouve refuge dans l’asile interlope d’une Marlène Dietrich, long manteau, mini short, ne mâchant pas ses mots, dépiécant à la hache de ses vers la carcasse immonde d’un capitalisme monstrueux. De même que la corde frappée d’un piano se réverbère contre le couvercle entrebâillé, FEU ! se nourrit de la réverbération des parcours politiques de Ulrike Meinof et de la bande à Baader, de leur radicalité violente stupéfiant leurs contemporains, inquiétant les forces de l’État, sur la pensée d’un présent sourd. Tout est écho pour qui sait tendre l’oreille. Dans la voix mitraillette de Nadège Prugnard qui est ce que les paillettes sont à la nuit : la cristallisation d’un cri dans le silence mortifère, dans ce flot inextinguible qui est un flow qui lui va comme un gant, débusquant les errements de notre temps, les mots trouent à l’instar des balles, avec cette assurance souveraine de pouvoir venir à bout de tout pouvoir, ou à l’inverse, avec ce brûlant désespoir où le poème nous consume de l’intérieur à petit feu. Empruntant à l’image populaire de la chanteuse de variété, accompagnée par une partition musicale de Renaud Grémillon osant le lyrisme, Nadège Prugnard échappe, par cette enveloppe à contremploi, à l’identification, brouille les pistes comme ces révolutionnaires, ces agitateurs politiques, travaillant sous couverture.
FEU ! rebat aussi et surtout les cartes du sensible et du politique pour redessiner les contours d’une parole intimement révoltée. On pense encore à Georges Didi-Huberman et à Viktor Klemperer (Le témoin jusqu’au bout) : une parole partagée est une parole qui nous partage, qui nous affecte, et pour cela même, qui nous divise. Sous son aspect monolithique de monologue performé, la pièce écrite et interprétée par Nadège Prugnard est d’une multiplicité saisissante, ouverte à tous les éclats de pensée qui nous traversent comme autant d’aiguilles plantées dans une poupée vaudou, offrant son va-et-vient exalté entre courage politique des mots clamés et affaissement de l’être intime, développant tel un contrepoint la correspondance amoureuse entre les lignes de l’interpellation politique.
Ce ne sont pas des paroles en l’air, soit-il épais, cet air, de la fumée des poudres. Non, c’est une parole en adresse, comme un chuchotement à l’oreille de l’être aimé, quand bien même elle aurait la déflagration tonitruante d’un haut-parleur.
FEU !, dans la bouche de vérité de Nadège Prugnard, embrasse une solitude, irrémédiable, insondable, qui est celle d’un collectif qui existe d’abord en soi, brûlant d’étreindre d’autres que soi dans la colère que le monde allume en chacun de nous.
© Bruno Montlahuc
FEU ! Ceci n’est pas une pipe ni une introduction à la lecture de Karl Marx, de et par Nadège Prugnard
Création musicale : Renaud Grémillon
Scénographie et complicité artistique : Générik Vapeur, Pierre Berthelot et Caty Avram
Collaboration artistique à la création des paysages sorciers : Caroline Selig
Constructeurs : Basile de Barbarin et Bruno Montlahuc
Sculpteur : métal Pedro Fremy
Complices dramaturgiques : Christian Giriat et Jean-Luc Guitton
Lumières et régie générale : Xavier Ferreira de Lima
Son : Christophe Rochon
Durée 45 minutes
Le 2 février 2023
Théâtre Victor Hugo
14 avenue Victor Hugo
92220 Bagneux
www.theatrevictorhugo-bagneux.fr
En tournée :
Le 8 mars 2023, Boulazac (24) au PNC (Pôle National des arts du Cirque)
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