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Festival Everybody, au Carreau du Temple

Fév 22, 2024 | Commentaires fermés sur Festival Everybody, au Carreau du Temple

 

Articles de Denis Sanglard

Troisième édition du Festival Every Body avec toujours au centre de cette manifestation la question de la représentation du corps contemporain par de jeunes artistes balayant allégrement les stéréotypes liés au genre, la couleur de peau, le handicap… pour un corps utopique, selon Foucault, comme autant de figures possibles de sa représentation, manifeste d’une identité participant de la transformation de soi, se refusant à l’assignation sociale ou politique.

 

 

© JMC2

 

ff  Dioscures, chorégraphié par Marta Izquierdo Muños, à travers les figures gémellaire de Castor et Pollux aborde la question du genre, plus précisément de l’androgyne et de son ambiguïté, voire de la non binarité. Ebène et Mina Serrano, comme une seule et même figure qui ne distinguerait pas le masculin du féminin, miroir l’un de l’autre et reflet diffracté, décline un vocabulaire chorégraphique emprunté à la culture queer, entre disco, drag, voguing et ballroom… N’hésitant pas non plus à puiser dans les codes, sinon les clichés, de la masculinité et de la féminité pour mieux les détourner, créant une étrange dissonance entre la figure et l’interprète. Ce pas de deux véloce et ludique qui les voit autant complices que rivaux n’exprime et n’affirme rien de moins que l’ambivalence du genre se refusant à toute assignation liée au sexe, qu’il soit masculin ou féminin mais qui peut les contenir peu ou prou tous deux… Ces drôle de jumeaux divins qui sur le plateau ne font qu’un, dans une volonté de non différentiation, exprime toute la complexité de l’individu dans sa dualité constitutive ici affirmée crânement.

Conception et chorégraphie : Marta Izquierdo Muños

Assistant chorégraphique : Éric Martin

Interprètes : Ebène, Mina Serrano

Vu le 9 février 2024

13 juillet 2024 Kilowatt Festival, Sanselpocro, Italie

17 ou 24 octobre 2024 BAD Festival, Bilbao, Espagne

 

 

© Mireille Huguet

 

fff  Nina Vallon signe une création dont le sérieux du propos n’a d’égal que son humour subtilement subversif. The world was on fire cultive avec soin et intelligence le décalage permanent. Cinq personnages féminins, fraises blanches enserrant leurs cous, lourdes robes de velours noir à vertugadin empesant leurs corps invisibilisés, ce même velours qui drape le plateau devenu l’antre sombre de béguines vouées aux enfers, s’affairent à de mystérieuses tâches ménagères à moins qu’ils ne s’agissent d’un sabbat de sorcières. Bientôt unissant leurs forces sororales, jetant leur frusques aux orties, leurs tâches aux gémonies, elles se libèrent d’une emprise masculiniste séculaire, d’aliénation sociale, pour reprendre possession de leur corps dans une folle énergie émancipatrice sans concession, une danse échevelée et impudique comme affirmation farouche de soi. Elles sont les guérillères de Monique Wittig. Ces cinq performeuses qu’accompagnent sans relâche aux platine une DJ, -signalons cette bande son prégnante et obsédante comme une pulsation interne – ont une puissance de feu poétique et physique que rien ne semble pouvoir arrêter. Cultivant le mystère en préambule, s’arrachant de leur condition avant de tout faire joyeusement péter, elles font de la scène un manifeste hardcore sans concession pour les femmes d’aujourd’hui, accusant leur libération dans une exaltation absolue. Si l’on excepte les deux derniers tableaux, à notre sens inutile, cette performance abrasive et urticante a le grand mérite, outre son originalité ou par elle surement, d’affirmer un combat jamais gagné d’avance en ces temps où les droits acquis ont la fâcheuse tendance à être remis en question par le politique réactionnaire en marche.

Chorégraphie et conception : Ninon Vallon

Interprètes : Margaux Amoroso, Arielle Chauvet-Lévy, Marine Colard, Justine Lebas, Yasminee Lepe, Nina Vallon

Vu le 9 février 2024

 

© D madvejev

 

fff  Traiter du handicap n’est jamais simple. La monstration de celui-ci ne va pas sans difficulté, toujours sur une crête fragile entre voyeurisme et complaisance malgré les bonnes intentions. Rien à craindre avec Feast mise en scène par la jeune lituanienne Kamilé Gudmonaïté. Création sensible, fragile, imparfaite et qu’importe, ce qui lui donne sa force singulière. Pièce créée avec et pour des personnes porteuses de handicaps qui chacun à leur tour vont se présenter, nommant leur handicap mais surtout ce à quoi il les confronte au quotidien, la violence institutionnelle et parfois familiale. La Lituanie officiellement ne reconnait que 9 % de sa population en situation de handicap et la majorité valide déclarant elle avec fermeté qu’il n’y en a pas sur leur territoire. C’est contre ce déni et pour une meilleure compréhension de leur vécu au quotidien que cette performance leur offre la parole. Surtout ce qu’ils expriment là avec humour et à-propos c’est combien leur quotidien participe de la résilience. Et de ça ils acquièrent une liberté qu’ils célèbrent ici avec mordant et sans fioriture. C’est une cérémonie festive, on y danse comme des dératés sous une pluie de confettis, non exempt de colère, une rage exprimé par des chaises balancées sans façon, dans une proximité volontaire avec le public, qui déplace le curseur de la normalité et de l’inclusion, inversant aussi avec justesse le regard que nous leur portons. Ce qu’ils nous renvoient sans façon c’est combien leur existence n’a rien à envier à la nôtre malgré les obstacles politiques ou sociétaux, le rejet et les préjugés, qui entravent leur autonomie. Vie de lutte certes, marginale parfois et par force, mais où le handicap n’est pas le centre de leur existence, constitutif sans doute mais demeurant en périphérie. Leur centre, c’est la vie malgré tout, malgré nous.

Direction : Kamilé Gudmonaité

Mise en scène : Laura Svedaité

Chorégraphie : Mantas Stabacinskas

Interprètes : Bozona Burokiené, Juozas Cepulis, Oleg Dlugovskij, Justina Platakyté, Kristina Saparauskaité, Mantas Stabacinskas, Loreta Taluntyté

Vu le 13 février 2024

 

 

© Jef Rabillon

 

fff  De l’influence de Dirty Dancing sur votre vocation et de Patrick Swayze sur la révélation de son homosexualité. Et de la conjugaison des deux qui déterminent votre vie. Voilà en résumé fort succinct la dernière création hilarante et fort pertinente de Sylvain Riéjou portant ce titre ayant le mérite de la clarté, Je badine avec l’amour. Avec ça une démonstration éclatante pour démonter les clichés les plus pugnaces à savoir, entre autres, que tous les danseurs ne sont pas forcément homos. Pour preuve ici la présence de Julien Gallée-Férré affirmant d’emblée son hétérosexualité. Et ces deux accompagnés d’Emilie Cornillot et Clémence Gailliard. Partant donc de la découverte de Dirty Dancing et du double choc subi, Sylvain Riéjou met en scène l’amour tel « qu’il l’a fantasmé, vécu et vit aujourd’hui », décortique de même en écho les rapports qui se crée, entre les liens professionnels et/ou séduction, au sein d’une chorégraphie. Et de l’importance du consentement. Ors donc de badinage il est question où Sylvain Riéjou dresse un panorama de la danse, du lac des Cygnes de (presque) Marius Petipa, à Philippe Decouflé (dans une version hilarante de Nathalie de feu Bécaud), comme un état des lieu des rapports de séduction qui se tissent, ou pas, entre les personnages et par porosité parfois entre les partenaires, danseurs et chorégraphes. Jusqu’à revenir aux sources de ses premiers émois et reproduire la scène culte et primitive de Dirty Dancing mais avec plusieurs combinaisons se souciant comme d’une guigne du genre, inversant les rapports de domination/soumission, les annulant même, allant jusqu’à proposer une partie carrée… Autrement dit sortir de la gangue hétéronormée qui prévalait dans les années 80/90 à l’aube la découverte de sa sexualité et de sa vocation pour enfin être conforme aux réalités contemporaine, en premier chef la sienne.

Conception et interprétation : Sylvain Riéjou

Création en étroite collaboration avec les interprètes : Emilie Cornillot, Julie Gallé-Ferré, Clémence Gaillard

Contribution chorégraphique : Yoan Hourcade

Regard dramaturgique : Jeanna Lepers

Vu le 13 février 2024

22 mars 2024 Festival + de genres, Klap, Marseille

22 mai 2024 Festival Danse de tous les Sens, Chorège CDCN, Falaise

 

© Bas C

 

fff  Un cri, venant du fond des  tripes, du fond des âges, contenant toute la souffrance d’une humanité blessée, écorchée. Un cri comme un élan vital, expression d’une urgence devant la crise idéologique, politique, écologique. Avec Bless the sound that saved a witch like me Benjamin Khan chorégraphie le cri comme un état de conscience aigu, poreux, sensible, donnant au corps ses impulsions les plus brutes. La danseuse Sati Veyrunes, impressionnante d’animalité rugueuse, d’humanité rageuse et pour laquelle ce solo est écrit, hurle et son corps avec elle. Un corps qui ne cesse de se métamorphoser, expression sèche et radicale d’un spectre émotionnel bouleversant, celui des sentiments contradictoires qui bousculent en conscience notre humanité déroutée. Ce qu’elle danse aussi ce sont les rhizomes souterrains, les arcanes archaïques qui soutiennent cet état convulsif d’une évolution chaotique, d’une révolution que le cri libère. Une performance radicale, d’une beauté sans apprêt, illustration d’un « théâtre de la cruauté » comme défini par Artaud, à laquelle on ne peut rester insensible parce qu’elle « nous broie les nerfs et cœur ».

Pièce chorégraphique de Benjamin Kahn pour Sati Veyrunes

Musique : Lucie Ross

Vu le 13 février 2024

22 mars 2024 sPRING forward 24, Darmstadt ( dans le cadre de la plateforme Aerowaves Twenty 24)

Mai 2024 New Bastic Danse, Vilnius (Lituanie)

 

 

Festival Everybody

Du 9 au 13 février 2024

 

Carreau du Temple

2 rue Perrée

75003 Paris

www.lecarreadutemple.eu

 

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