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Femme non rééducable, Anna Politkovskaïa, de Stefano Massini, mis en scène par Laurent Mascles, Théâtre au bout là-bas, Festival d’Avignon Off

Juil 17, 2023 | Commentaires fermés sur Femme non rééducable, Anna Politkovskaïa, de Stefano Massini, mis en scène par Laurent Mascles, Théâtre au bout là-bas, Festival d’Avignon Off

 

 

 © L’ile Lauma

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 Ce texte de Stefano Massini centré sur la figure d’Anna Politkovskaïa est, à l’image de ses autres textes, engagé dans la vie réelle, engagé tout court dans la dénonciation des injustices, des inégalités, des vies piétinées. Évidemment, dans Femme non rééducable, l’enjeu, ou le combat, est encore plus vaste, même si l’auteur ne prétend nullement mener de combat justement, mais uniquement de poser des faits, à l’image de la pratique de la journaliste russe d’ailleurs. « Prendre position c’est faire preuve d’intelligence » … En donnant une dimension dramaturgique au récit, dans une écriture ciselée, efficace, tranchante, épurée parfois, l’auteur italien parle tout autant au cerveau qu’au cœur.

Sa langue est si forte qu’elle n’a besoin d’aucune fioriture ou surcharge scénographique. Laurent Mascles l’a bien compris et signe une adaptation (quelques scènes sont coupées) et mise en scène parfaite, qu’il avait déjà jouée en Avignon depuis 2020 (sachant que la pièce a à l’origine été créée en 2010 à Bruxelles dans la mise en scène de Michel Bernard). Du noir, des lumières face et arrière, un peu de fumée, une chaise et deux comédiens au plateau. Laurent Mascles lui-même est tour à tour le jeune mercenaire de 19 ans, le colonel des fosses de Kotuni, un chef de terroristes… On avoue avoir être décontenancée quelques minutes par l’accent du sud qui surgit dans les steppes tchéchènes, et après on oublie, car cela n’a en fait aucune d’importance et est évidemment bien préférable à l’imitation d’un accent du Caucase.

Il faut dire enfin et surtout que les mots de Massini et l’hommage qui est rendu à Anna Politkovskaïa sont totalement magnifiés par le jeu de la fabuleuse comédienne Marie de Oliveira. Elle porte le texte avec une force et une justesse auxquelles il est peu souvent donné d’assister. Marie de Oliveira fait s’ancrer et s’envoler tour à tour la langue de Stefano Massini. Elle redonne vie à Anna Politkovskaïa, elle est Anna Politkovskaïa. En ne cherchant jamais à singer la gestuelle ou les intonations de voix de la journaliste, elle la joue en en habitant l’esprit et la lutte, la lutte pour la vérité, pour l’information, pour dénoncer les corruptions au niveau étatique comme individuel, pour rendre compte des massacres et de la barbarie, pour témoigner sur place, sans fake news, de la réalité du terrain, pour pouvoir décrire ce que c’est qu’une tête suspendue à un crochet, dont le sang dégouline puis se prolonge en un goutte à goutte. Témoin oculaire des choses qu’on ne peut se permettre de raconter si on ne les a pas vues, comme un attentat (« celui qui n’a pas vu de ses yeux / un attentat / qu’il évite d’en parler / puisqu’il n’en sait rien »).

On est vraiment suspendu aux lèvres de Marie de Oliveira, à la diction parfaite, au timbre de voix presque envoutant, à la puissance vocale impressionnante (la scène de la course dans la neige / le sang / la neige à Grozny) y compris dans sa capacité à rebasculer en quelques secondes dans un registre posé, qui n’est jamais froid ou faussement habité, qui est simplement juste. On pleure avec elle dans la scène de culpabilité après l’assassinat de tous ceux qu’elle avait interviewés dans un petit village de montagne. On tremble dans l’ascenseur de son immeuble à Moscou au moment où elle est assassinée le 7 octobre 2006 les bras chargée de courses, car elle était aussi une mère de famille.

Un coup de cœur pour cette comédienne et un coup de cœur pour cette adaptation d’un texte à faire connaître absolument pour garder la mémoire de cette femme exceptionnelle, de cette guerre sans fin, de ces massacres récurrents où l’humain n’a plus de place, et notamment à une étape charnière, due à un autre conflit, qui a conduit le Kremlin à demander  au Président tchéchène (le fameux Ramzan Kadyrov qui est passé de chef de la Sécurité à la Présidence en un éclair et qui fait l’objet de toute une scène dans la pièce) le mois dernier d’envoyer ses forces militaires remplacer le groupe Wagner en Ukraine.

On ne saurait donc que trop conseiller pour prolonger cette pièce de lire dans la réédition assurée par L’Arche le dernier texte de Stefano Massini, intitulé Bunker Kyiv écrit un an après le début de la guerre en Ukraine…

 

© L’ile Lauma

 

Femme non rééducable. Anna Politkovskaïa de Stefano Massini

Mise en scène : Laurent Mascles

Traduction : Pietro Pizzuti

Musique originale : Gilles Monfort

Avec : Laurent Mascles, Marie De Oliveira

 

Jusqu’au 29 juillet (relâche les 17 et 24), 17h25

Durée 1h20

 

Théâtre Au bout là-bas

23 rue Noël Biret

84000 Avignon

 Réservations : www.avignon-theatreauboutlabas.com

 

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