À l'affiche, Agenda, Brûlant, Critiques, Evènements // Faust, de Charles Gounod, dirigé par Louis Langrée, mis en scène par Denis Podalydès, à l’Opéra-Comique, Paris

Faust, de Charles Gounod, dirigé par Louis Langrée, mis en scène par Denis Podalydès, à l’Opéra-Comique, Paris

Juin 26, 2025 | Commentaires fermés sur Faust, de Charles Gounod, dirigé par Louis Langrée, mis en scène par Denis Podalydès, à l’Opéra-Comique, Paris

 

© S. Brion

 

ƒƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier

Une affiche de rêve que ce Faust qui se donne à l’Opéra-Comique, et notamment pour les théâtreux qui pourraient s’imaginer s’être rendus dans une annexe de la Comédie-Française : Denis Podalydès à la mise en scène, Bertrand Couderc aux lumières qui a travaillé sur le Soulier de satin, spectacle d’adieu de l’administrateur Éric Ruf qui est ici aux décors, accompagné à nouveau par Christian Lacroix aux costumes (qui en a conçu pour une vingtaine de ses spectacles y compris le Soulier susnommé), sans parler de deux comédiens (dont l’un a ses habitudes également au Français). Du côté musical, l’affiche peut-être moins connue du grand public est pourtant au diapason d’une soirée idéale : le directeur de l’Opéra-Comique lui-même à la direction, l’Orchestre National de Lille et les chœurs de l’Opéra de Lille (où cette nouvelle production a été créée en mai dernier) et une jeune génération de chanteurs qui confirme leurs talents et prestations récentes sur les grandes scènes de France et d’Europe.

Tout est donc en harmonie dans ce Faust originel que Charles Gounod avait composé sur la commande de Léon Carvalho, alors directeur du Théâtre-Lyrique. Gounod rêvait de mettre en musique et en chant le drame métaphysique de Goethe qui avait été traduit par Nerval vingt ans après sa parution en Allemagne, ce qui avait d’ailleurs suscité une certaine incrédulité de son auteur : son génialissime texte pouvait-il être intelligible en français ? De fait, l’engouement des artistes de l’époque n’a pas connu d’égal et l’intérêt s’est perpétué dans le temps, même si beaucoup ont échoué à transposer au théâtre ou à l’opéra cette œuvre réputée injouable, dont seul Gounod est arrivé à bout, qui plus est en en proposant plusieurs versions, dont deux principales. C’est la version avec dialogues parlés, que la co-production de l’Opéra de Lille et de l’Opéra-Comique a choisi de montrer, laissant de côté la version grand opéra plus (voire seule) connue et partout jouée.

Un prologue et quatre actes scandent ces 3h30 de partition où le spectateur ne sait où donner des yeux et des oreilles tant l’œuvre est riche, aussi bien dans sa composante principale d’origine que dans son interprétation en cette année 2025. Les surprises multiples dans la partition (par rapport à la version opéra partout produite), ainsi que la scénographie et la mise en scène excitent à tout instant l’attention du spectateur.

Du côté de la fosse, la direction est généreuse, ainsi que l’orchestre, qui s’approprie cette « nouvelle » version en sachant faire communauté, ce qui n’empêche pas certains instrumentistes ou pupitres de se distinguer avec élégance, en particulier celui des cordes et surtout des violoncelles délicatement lyriques. Du côté des chœurs auxquels une place importante est réservée, on a pu regretter de petits décalages dans la première intervention des femmes, vite oubliés tant la suite fut juste et enjouée.

Les chanteurs solistes émerveillent, vocalement et dans leur jeu, qui étonne toutefois et semble presque parfois à contre-courant, en particulier le rôle-titre, ainsi que celui du serviteur de Satan. Julien Dran est un Faust presque solaire, tandis que Jérôme Boutillier est un Méphistophélès plus bouffon que sombre. Le baryton semble même, dans certaines scènes, prendre toute la place, sans pour autant écraser ses partenaires. Le premier joue à fond la carte de la métamorphose, le second celle de la séduction, certes diabolique car le sourire enjôleur est bien toujours le prélude d’un rire sarcastique. Le baryton prend un plaisir évident et communicatif dans son jeu aussi juste que sa prestation vocale. Valentin, en la personne de Lionel Lhote, est plus classique dans son rôle mais néanmoins excellent, tout comme la soprano Vannina Santoni, Marguerite d’une grande délicatesse, bravant avec aisance toutes les difficultés de sa participation, tout en parvenant à émouvoir en restant sobre dans son jeu.

Juliette Mey était sans doute la plus timide surtout dans la première partie dans son rôle (travesti) de Siebel, tandis que Marie Lenormand et Anas Séguin s’amusent follement dans leurs rôles de Marthe et Wagner qui regardent eux aussi davantage du côté de la comédie que de la tragédie.

La scénographie accompagne dans le même esprit cette direction d’acteurs et mise en scène décidemment moins tragiques que toutes les versions que l’on peut avoir en mémoire, tout du moins dans la première partie. La tournette permet des changements de décors fluides et une dynamique appréciable dans les déplacements des solistes comme des chœurs. À l’exception du caddy traîné par Faust dans le Prologue, dont nous n’avons pas compris le sens, les autres éléments de décors qui jouent la sobriété convainquent. Certains descendent des cintres, ou remontent comme l’armoire dans laquelle s’est installé Méphistophélès, passage qui pourrait presque être une scène de vaudeville. Plus poétique est le tableau des sorcières particulièrement réussi esthétiquement dans l’instant fugace où elles se couchent alignées en bord de plateau. Charmant auparavant, même si moins original est le jeu des reflets des miroirs dans le fameux air des bijoux, notamment quand Marguerite monte sur son lit. Très réussi et délicates sont les interventions gestuelles de l’enfant, qui va chercher l’étreinte de sa mère, sa tête sur ses genoux, cette mère qui a perdu tout son instinct maternel n’ayant plus d’yeux pour lui, mais seulement pour le fantôme de son amant ; tout comme dans la scène de l’infanticide où les mains de l’enfant s’accrochent sans bruit au corps de sa mère qui montre son dos au public pendant qu’elle l’étouffe ou le noie presque avec douceur. La clarinette est ensuite déchirante.

Quand le cercle de lumière descend sur l’enfant ressuscité comme la couronne du Christ, l’émotion provoquée par le cri de Marguerite rejetant Faust, est à son acmé. On imagine que la dépression récente et les tentations spirituelles du compositeur ont trouvé ici une forme de réconfort.

Longue vie donc à cette version d’origine de 1859 qui avait connu plus de 300 représentations en 1868 au Théâtre Lyrique. Le prix Claude-Rostand (meilleure production lyrique régionale et européenne) que lui a décerné le Syndicat professionnel de la critique Théâtre, musique et danse le matin même de sa seconde représentation à Paris, devrait y contribuer ! Louis Langrée s’en est joyeusement félicité en partageant la nouvelle au public de la Salle Favart avant de saisir sa baguette !

 

© S. Brion

 

Faust, de Charles Gounod

Direction musicale : Louis Langrée

Mise en scène : Denis Podalydès

Décors : Éric Ruf

Costumes : Christian Lacroix

Lumières : Bertrand Couderc

Chorégraphe : Cécile Bon

Créatrice maquillage : Véronique Soulier Nguyen

Masques : Louis Arène

Assistant à la direction musicale (Académie de l’Opéra-Comique) : Sammy El Ghadab

Collaborateur artistique à la mise en scène : Laurent Delvert

Assistantes décors : Caroline Frachet, Zoé Potet

Assistant costume : Jean-Philippe Pons

Chef de chant : Ayano Kamei

Chefs de chœur : Louis Gal, Sammy El Ghadab

Avec :  L’Orchestre National de Lille et le Chœur de l’Opéra de Lille

Les solistes Julien Dran, Jérôme Boutillier, Vannina Santoni, Lionel Lhote, Juliette Mey, Marie Lenormand, Anas Séguin

Et : Victoire Cheurfa et Inès Rousseau (l’enfant en alternance), les comédiens Léo Reynaud, Alexis Debieuvre, les danseuses Julie Dariosecq, Elsa Tagawa

 

Durée : 3h55 (entracte compris)

Les 21, 23, 25, 27 juin à 20h

Le 29 juin à 15h

Le 1er juillet à 20h

  

Opéra-Comique  

1, place Boieldieu

75002 Paris

T+01 70 23 01 31

www.opera-comique.com

 

 

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