À l'affiche, Critiques // Farm Fatale, de Philippe Quesne, au Théâtre Nanterre-Amandiers

Farm Fatale, de Philippe Quesne, au Théâtre Nanterre-Amandiers

Sep 20, 2019 | Commentaires fermés sur Farm Fatale, de Philippe Quesne, au Théâtre Nanterre-Amandiers

 

© Martin Argyroglo

 

ƒƒƒ article de Toulouse

Au milieu des bottes de foin et des outils agricoles, cinq épouvantails animés  et visiblement mal en point, viennent nous compter une drôle de fable philosophique et contemporaine.

Sur un sol et au-devant d’une toile de fond immaculés, ces cinq personnages aussi étranges qu’attachants, tiennent dans leur ferme une émission de radio, gigantesque brainstorming des plus loufoques sachant pourtant saisir avec subtilité le pouls de notre époque. Ils racontent leurs parcours d’épouvantails, hantés par leurs fantômes passés, d’une époque où l’un d’eux avait encore un maître malheureusement suicidé à cause de la chute du prix du lait, ou encore ces temps glorieux où un autre vivait paisiblement dans une ferme bio avant que des exploitations voisines d’agriculture en masse et de grands groupes industriels viennent polluer les sols et forcent la famille de fermier à fermer boutique. Tout autant de fragments de vies et de micro-événements faisant pourtant chaque jour la une malheureuse de nos journaux, et annonçant un horizon plus qu’amer quant au sort de notre planète. Il y a derrière cela une évidente critique du capitalisme et du non-respect des pas vers la nature. Thématique principale écologique qu’on entend souvent dans les médias, mais qu’il est néanmoins bien plus rare de trouver sur les scène de théâtre comme matière pour la création.

Ce qui est ici touchant et surtout troublant, c’est l’humanité que prennent ces silhouettes faites de pailles et de vieux chiffons, et qui à cinq tentent la beauté tortueuse d’une utopie nouvelle, prennent part maladroitement à ce grand débat et participent à repenser nos modèles et notre civilisation. Figures presque beckettienne, témoins d’une absurdité, celle de la bêtise humaine, ils tentent, rêveurs tout autant que poètes, de réinventer « un » monde. Les corps sont travaillés et leurs voix modifiées par micro si minutieusement que leurs interprètes révèlent un jeu quasi-marionettique, assez proche de ces fantômes d’argile et de loques que l’on retrouve dans un des plus célèbres spectacle de Maguy Marin pour ne pas citer « May B », et qui tend à les déshumaniser. Or, et c’est là toute la poésie qui émerge de ce paradoxe, on remarque de tristes clowns prendre part à ces enjeux écologiques avec tant de ferveur et d’affect, qu’au final on les juge bien plus humains que pantins (peut-être même plus humains et réfléchis que nous spectateurs ?). Ils passent d’épouvantails à « émouvantails ». Ce sont ces « abeilles de l’invisible », pour reprendre l’expression de Rilke, mémoire d’une nature authentique, touchantes et naïves comme les enfants, toutes aussi lucides et sincères, et qui pensent qu’il est encore possible d’échapper à l’asphyxie générale et programmée.

Philippe Quesne arrive à un résultat qui dépasse les attentes. Un spectacle fait de bric et de broc (ce qui n’est pas toujours le cas quand on repense à la scénographie de sa dernière création aussi spectaculaire que faramineuse), il maîtrise à la perfection l’aspect visuel, qu’il conjoint à une inventivité folle en matière de travail plastique, et c’est bien là sa signature. L’humour absurde et l’humanité lumineuse qui ressort de cette histoire, marquant une accessibilité totale, est enfin la réussite de ce spectacle. On se demande comment il arrive  toujours à nous surprendre, à trouver des idées sans cesse aussi hallucinantes et radicales que simples, et qui malgré tout semblent être empruntées à un monde insoupçonné ? C’est pourtant ce qui arrive en assistant à l’expérience Farm Fatale.

 

© Martin Argyroglo

 

 

Farm Fatale, conception scénographie et mise en scène de Philippe Quesne

Collaboration scénographique : Nicole Marianna Wytyczak

Collaboration costumes : Nora Stocker

Responsable masques : Brigitte Frank

Lumières : Pit Schultheiss

Son : Robert Göing

Assistants à la mise en scène : Jonny-Bix Bongers et Dennis Metaxas

Dramaturgie : Martin Valdés-Stauber

Collaboration dramaturgique : Camille Loui

 

Créé et interprété par : Léo Gobin, Stefan Merki, Damian Rebgetz, Julia Riedler et Gaëtan Vourc’h

 

 

Du 19 au 25 septembre 2019 à 20 h 30

Le samedi à 18 h 30 et le dimanche à 16 h

 

 

Théâtre Nanterre-Amandiers

7 avenue Pablo-Picasso

92022 Nanterre Cedex

 

Réservation au +33 (0)1 46 14 70 00

www.nanterre-amandiers.com

 

– RER A : Arrêt Nanterre-Préfecture

– Bus 160 : Arrêt Joliot-Curie Courbevoie

– Bus 259 : Arrêt Théâtre des Amandiers

– Bus 159 : Arrêt Théâtre des Amandiers

 

Tournée :

26-27 novembre 2019 : Prager Theaterfestival Deutscher Sprache, République Tchèque

4-5 janvier 2020 : Santiago a Mil, Chili

 

 

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