© Hervé Bellamy
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
On commence par la fin avec le cri d’Hugues (Quester), un cri de bête, une déflagration « ta mère est crevée ». Crevée !!! Comme s’il s’agissait d’un animal ou d’un végétal, on dit « la glycine est crevée… ». Mais une mère, suicidée en plus ?
Le flux de ses souvenirs touche enfin le cri, une heure quinze à le refouler, tapissant le sol de photos, recréant les pièces de sa mémoire soutenue par Laurent (Charpentier) un ami en visite chez lui, qui relance et questionne, dans la pénombre de ce qui semble un boudoir de psychanalyste, divan en moins. Sur un bureau, le portrait du peintre Ensor, un exemplaire du Père Goriot et une photo de Katherine Mansfield « brune et fatiguée », un intérieur d’écrivain. Un suicide, ça plonge les survivants dans un gouffre de questions. Pourquoi ?
Les deux amis, un peu éméchés, font parler les façades Potemkine des polaroïds dans la tanière d’Hugues, une mère jeune très différente de la femme dépressive qui gribouillait les photos pour effacer sa tête, dont le secret dépasse sa seule histoire pour rejoindre la mère de sa mère, sa sœur, son mari, ses enfants… Comme une malédiction qui court de génération en génération, « cette petite famille à la con (…) on dirait une photo de pub. Soyez heureux ». Une famille mal assortie en réalité.
Philippe Minyana offre à ses comédiens sa langue syncopée, à Hugues Quester en particulier qui a cette façon d’être là sans y être, ce mystère, un phrasé proféré, une scansion presque surannée à la Vitez, il porte avec la même intensité la poésie « pendant un certain temps, la joie ne voulait pas venir. Il m’a fallu l’inventer. Je visitais des lieux. Chapelles ou forêts et je leur parlais. Je disais : tu es très belle. Tu me plais. Et le rire était le point de départ ». Le trivial « Ça te dirait des endives au jambon ? (…) Et si on allait au resto. Aimes-tu le haddock ? ». Et l’émotion « pauvre petite mère ». Ce jeu distant colle parfaitement à son personnage comme un filet de sécurité face à la douleur envahissante, seul rempart à l’anéantissement, la froideur jusqu’à l’étranglement ultime du cri de Munch. En contrepoint de la voix de basse et de la démarche hésitante d’Hugues Quester, Laurent Charpentier surjoue la gaieté, les duettistes ne manquent pas de sel comme un clown blanc et son Auguste dans une mise en scène sobre, inutile d’en rajouter.
Les enfants ne devraient jamais épouser la douleur de leur mère… On est happé par ces vies minuscules, ces photos qui racontent des romans inachevés, les repas et les communions, nos chers Fantômes, « on a le cœur au bord des lèvres mais on est content ». Allez les voir !
© Hervé Bellamy
Fantômes, texte de Philippe Minyana
Edite par les Solitaires Intempestifs
Mise en scène de Laurent Charpentier
Lumières : Laïs Foulc
Son : Madame Miniature
Avec Hugues Quester et Laurent Charpentier
Durée 1h15
Réservation :
Jusqu’au 9 mars 2024
À 19h le 27 février
À 20h du 28 février au 2 mars
À 15h le 3 mars
À 19h du 05 au 9 mars
Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt
2 place du Châtelet
75004 Paris
T+01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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