ƒƒ article de Florent Mirandole

Peut-on se laisser mourir de faim volontairement ? Tiraillé par la faim, un jeune journaliste sans le sou nous entraîne dans sa quête désespérée de nourriture à travers les rues d’Oslo. Si ce monologue sur la faim au quotidien écrit à la fin du XIXeme siècle raisonne dramatiquement aujourd’hui, l’auteur norvégien teinte son monologue de la faim de tonalités naturalistes et impressionnistes plus originales. La mise en scène légère d’Arthur Nauzyciel permet à Xavier Gallais de livrer une lecture particulièrement fine de ce texte, où l’onirisme cohabite pacifiquement avec la torture mentale.

La puissance du texte passe d’abord par ce sentiment d’urgence qui transparaît à chaque scène. Chaque pas du personnage semble être un pas vers l’épuisement et la mort. Le sentiment d’urgence imprègne chaque scène, nous forçant à rester en apnée tout au long du récit. Ce vagabondage pourrait n’être qu’une description de plus, quoique plus personnelle, de la misère et de la pauvreté. Pourtant Balzac est loin, et à mesure que le jeune journaliste se laisse entrainer par ses divagations et ses rêveries, Breton se rapproche. Car l’errance du journaliste ne nous amène pas à regarder le monde extérieur mais intérieur. C’est avant tout une introspection que dépeint Knut Hamsun.

Introspection physique d’abord, alors que le corps du journaliste est soumis à des attaques de plus en plus grandes. Contre la faim, le froid, le personnage se recroqueville sur lui-même, contraint de « passer ses doigts dans ses cheveux pour se réchauffer ». C’est bien sûr autour du ventre que se situe l’épicentre de cette introspection. Le mal est tel que l’estomac refuse même d’être soulagé par un bout de viande, semblant signifier que le corps a atteint un point de non-retour. La chaire meurtrie apparait d’ailleurs comme un thème récurent du roman. La scène de l’os à ronger donné par un boucher, sur lequel le héros se jette à la recherche du moindre lambeau de chair, est peut être la scène la plus fascinante du spectacle.

Mais ce sont les descriptions de l’univers psychologique du journaliste qui constituent le pont le plus évident vers le XXème siècle. La faim, la douleur, mais aussi l’imprévu ou l’amour, tirent le journaliste de son obsession pour l’entraîner ailleurs, vers la rêverie ou la démence. Agissant comme un révélateur, la faim décuple ses sensations. Ainsi, le silence de la neige qui tombe ou la lueur du petit matin dans une cellule apparaissent comme autant de tableaux impressionnistes. La fièvre créatrice est poussée au point de lui donner un sentiment toute puissance mystique, où le journaliste finit par créer de nouveaux mots et jouer avec la lumière.

La richesse de ce récit ne serait pas mise en valeur sans la finesse d’interprétation de Xavier Gallais. A l’opposé du récit sous psychotrope tendance Hunter Thomson, ou du récit clinique de la misère sociale version Dickens, le comédien brille par son ambiguïté. Alors que le journaliste découvre la richesse de ses sensations à mesure que son corps s’éteint, Xavier Gallais excelle à souligner la complaisance du personnage pour son mal. Tenaillé par l’urgence et nonchalant devant la mort, le comédien transmet avec intelligence la complexité du héros.

Puissant et sombre, Knut Hamsun développe une esthétique du sensible fascinante et crépusculaire.

« Faim » de Knut Hamsun
Adaptation théâtrale Florient Azoulay et Xavier Gallais
Traduction Régis Boyer et Georges Sautreau
Mise en scène Arthur Nauzyciel
Collaboration artistique Florient Azoulay
Scénographie Florient Azoulay
Mouvements Damien Jalet
Son Xavier Jacquot
Costumes Gaspard Yurkievich
Avec Xavier Gallais
 
Du 26 aout au 25 septembre 2015

Théâtre du Lucernaire
53 Rue Notre Dame des Champs
Métro Notre-Dame-Des-Champs
Réservation : 01 45 44 57 34

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