Critiques // Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire, chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Grande Halle de la Villette

Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire, chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Grande Halle de la Villette

Juin 25, 2018 | Commentaires fermés sur Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire, chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Grande Halle de la Villette

© Agathe-Poupeney-PhotoScene

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Radhouane El Meddeb signe une nouvelle création, présentée au Festival d’Avignon de 2017, et pour qui connaît son chemin artistique quelque peu troublant par sa radicalité. Hommage à ses origines, la Tunisie, celle d’après la révolution, la Révolution du Jasmin. Sur le plateau ils sont neuf, neuf artistes tunisiens engagés politiquement qui travaillent à la construction de la Tunisie de demain. Radhouane El Meddeb, naturalisé Français, exprime là son désarroi devant un pays broyé par la pauvreté, happé de fait par les extrémistes. Et le courage, alors que nombre d’entre eux, tout aussi courageux, prennent le chemin de l’exil, périssent en mer sur des embarcations de fortune, la volonté donc de ceux qui décident de rester, de lutter. Avec pour seul échappatoire cette présence prégnante de l’eau et d’un horizon vers lequel ils n’iront pas mais qu’ils fixent avec obstination et intensité. Ils ne se passent rien ou presque sur le plateau. Juste ça, ces danseurs qui errent et ne cessent de revenir avec obstination vers le lointain, par-dessus les spectateurs, au-delà de la salle. Alors parfois on craque et c’est une danse échevelée, chaotique. Derviche tourneur affolé. Jusqu’à l’épuisement, l’effondrement. Parce qu’il faut bien évacuer toute les tensions qui vous submergent, la colère qui vous gagne et l’impuissance qui vous ronge, la folie qui vous guette. Avant de revenir, calmé, au bord de cette mer qu’on ne se décide toujours pas à franchir parce que comme le répète une danseuse dans un mouvement de va et vient obsessif, compulsif, entre le bord du plateau ouvert vers l’occident, et le lointain, « mon histoire elle est ici !». Et de se planter derechef devant cette mer qui vous hante, promesse d’un ailleurs, d’un avenir dont nous, spectateurs occidentaux impuissants sommes les représentants, et qu’ils se refusent à traverser. Cet opus là on se dit qu’il est sans aucun doute la partie immergée de Au temps où les arabes dansaient. Une suite évidente et logique. Radhouane El Meddeb semble clore un chapitre, faire son deuil d’une Tunisie qui n’est plus, abandonner la nostalgie qui le taraudait pour un regard aujourd’hui plus frontal mais toujours aussi engagé. Il y a une sécheresse, une âpreté dans cette chorégraphie qui ne cesse de se dérober, se refuse à vous, où les danseurs sur ce plateau nu et blanc que borde une laisse de mer imaginaire sont comme empêchés, retenus. L’exil est intérieur. Reste une solidarité qui vous poigne. On se porte pour voir plus haut, au-delà. Guetteurs et sentinelles. On s’étreint avec force et douceur. On danse aussi. Une danse traditionnelle, entre hommes où les pieds frappent le sol avec violence. Avant de revenir là, au bord du plateau, à regarder droit devant soi. La mélancolie sourd d’un piano et de mélopées arabes chantées en direct. Pas de traduction. C’est juste ça qui vous blesse un peu, de ne rien comprendre à ce qui est chanté. On ne peut qu’appréhender. Et puis il y a cette fin abrupte et soudaine qui vous bouscule et rompt le rythme jusque-là intranquille. L’intensité des présences soudain reflue. Autour du piano que déplace, surgi de nulle part, un inconnu – on craint le pire – un chœur se forme et le rire advient, étouffant les larmes qui jamais ne vinrent. Bouleversant.

 

Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire, conception dramaturgie et chorégraphie Radhouane El Meddeb

Collaborateur artistique  Moustapha Ziane

Interprètes Sondos Belhassem, Houcem Bouakroucha, Hichem Chebli, Youssef Chouibi, Feteh Khiari, Madj Masroura, Malek Sebei, Malek Zouaidi, Mohamed Ali Chebil (chanteur)

Musicien et compositeur  Jihed Khmiri

Scénographie  Annie Tolleter

Lumières  Xavier Lazarini

Costumes  Kenza Ben Ghachem

 

19 et 20 juin 2018 à 20h30

Grande Halle de la Villette

211 avenue Jean Jaurès

75019 Paris

Réservation 01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

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