© Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française
ƒƒ article de Denis Sanglard
Seule en scène, Anne Kessler interprète quelques personnages féminins du répertoire de Molière. Portraits en creux d’une condition de la femme corsetée par la domination masculine et le religieux. Louison, Agnès, Armande, Henriette, Arsinoé, Célimène, Célie, Elvire, Dorine, Madame Pernelle… de l’enfance à la maturité, c’est une vie traversée, quelques portraits qui n’en font au final qu’un, où chacune interroge son statut au sein d’une société où l’émancipation se heurte aux préjugés du siècle. Il y est question d’amour, aussi. Et de mariage. Anne Kessler, qui n’a jamais jusqu’alors interprété ces rôles, s’empare de ces personnages avec une juste sensibilité, une intelligence certaine. On sait combien cette comédienne en apparence si frêle a cette capacité singulière d’offrir à chacune de ses apparitions une présence faite de légèreté mêlée de gravité, voire de fragilité mais innervé d’une mystérieuse force souterraine et d’une douce folie qui lui donne son tempérament unique. Elle donne ici la mesure de son talent. Ce seule-en-scène dans sa conception originale est un instant où le rire le dispute au tragique. Tout Molière ou peu s’en faut est là, dans ces extraits choisis avec soin, qui en fit l’homme de son temps, contempteur d’une société inégalitaire où l’émancipation des femmes était un non-sujet pour les hommes. Ce que l’on entend ici, mise à nu par cette mise en scène édulcorée de toutes scories inutiles, c’est à la fois les préjugés dont elles sont victimes et cette volonté pour certaines de s’en défaire pour acquérir, au prix du ridicule parfois, une certaine liberté. Non, Molière n’était point misogyne, c’est toute la complexité et les contradictions du sexe féminin au prise aux préjugés qu’il détourait ainsi. Condensés dans ces quelques extraits choisis, cela saute aux yeux. Anne Kessler joue chacune, et chacun puisqu’elle n’omet jamais les répliques même masculines, avec une troublante vérité, sans jamais forcer le trait. Et l’on se dit qu’elle aurait été formidable en chacune d’elle, qu’elle le sera sans doute un jour. Elle ne théâtralise aucunement, il y a là, non sans humour, une part d’enfance où l’on joue avec quelques accessoires bricolés au si magique des histoires qu’on se raconte à soi-même, ou sur une scène improvisée devant quelques amis choisis. Une paire d’yeux barbouillée sur la paume de la main, et voilà Arnolphe interrogeant Agnès. D’un chapeau de paille faire un tas de sable et Henriette et Armande sont à la plage. Deux rubans de couleurs, une couleur à chaque poignet, voilà Arsinoé et Célimène en vis-à-vis. Et qu’importe alors si Flipote n’est qu’une vieille toque qui fait pouët sur la tête de madame Pernelle, c’est avec ce rien propice à l’imagination que le théâtre existe aussi. Et c’est ainsi qu’Anne Kessler crée une belle proximité, voire une complicité, avec son public. Un art de l’esquisse et du trait pertinent que l’on retrouve dans les dessins projetés, signés Anne Kessler, lesquels donnent corps joliment à ces femmes qui questionnent leur condition et qui dans l’amour et ses trahisons, son refus même, tentent de trouver réponse à leur condition.
© Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française
Ex-traits de femmes : conception, interprétation et animation graphique d’Anne Kessler, de la Comédie-Française
D’après Molière
Lumières : Eric Dumas
Spectacle créé au Studio-Théâtre (Paris) en 2022
Du 19 au 30 septembre 2023
Mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h
Durée : 1h
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
T+ 01 45 45 49 77
Réservations : www.theatre14.fr
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