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Ex Machina, spectacle-performance de et avec Carole Thibaut, TNP Villeurbanne

Fév 07, 2024 | Commentaires fermés sur Ex Machina, spectacle-performance de et avec Carole Thibaut, TNP Villeurbanne

 

© Héloïse Faure

 

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

« Ex machina » se retrouve par exemple dans l’expression « deus ex machina ». Au théâtre, désigne le dieu (genré au masculin) qui daigne faire son apparition à la fin de la pièce pour résoudre tous les problèmes, ceux du héros, et accessoirement de l’héroïne, qu’on marie ou envoie au couvent, si elle n’y est pas déjà. « Machina » car, pour apporter le dieu sur scène, il faut bien une « machine », un mécanisme, pour que le dieu descende des cintres, jaillisse d’une trappe, tombe du ciel, y retourne, etc. « Ex machina ». Littéralement : « sorti de la machine ». On remarquera que « machina » est nanti d’une terminaison en « a » qui fait pourtant très féminin.

Avec Ex Machina, spectacle-performance créé au Théâtre des Ilets de Montluçon, qu’elle dirige depuis 2016, Carole Thibaut poursuit son travail d’exploration autofictionnelle. Sous la persona de Carole Thibaut, directrice de CDN, qu’elle est et n’est pas, elle continue à dévider le fil d’une enfance placée sous l’autorité d’un père qui ne sait pas forcément aimer, d’une jeune fille un peu godiche, qui tombe amoureuse d’intellos ou de mauvais garçons, d’une comédienne soumise au désir des autres, d’une femme en quête de la solution miraculeuse qui lui permettrait de sortir de ses assignations.

Le personnage est elle-même et toutes les femmes. Le début la rêve en femme puissante, chevalière de conte, enfourchant un fier destrier, reine des Amazones ou des pommes. Mais le récit se déchire sous le poids de la réalité. La couronne est bien pesante et trompeuse, et les loups prompts à revenir.

Ex Machina n’est pas résumable et n’a pas à l’être, puisqu’il faut absolument le voir. La pièce tient de la performance, du stand-up, du cabaret, du burlesque, du show comique, de la revue satirique. Carole Thibaut est tour à tour une caustique humoriste et une clownesse fatale. Son propos va des tailleurs pour dames à la litanie des agressions et violences qui émaillent les vies des femmes. Pour servir son texte puissant et inspiré, elle utilise une magnifique scénographie, qui crée des images entêtantes et mystérieuses. Une tête de cerf, une baignoire et des tentures pourpres, une longue robe noire… Le « giallo » et le gothique emballent, théâtralement, un récit tout en fulgurantes douleurs et en explosions de révolte. La comédienne se transforme un cyborg ubuesque, poupée gonflée pleine de « Daddy issues ».

Ex Machina, comme « sorti de la machine ». Au terme de la pièce, le processus s’est accompli : naissance de Carole Thibaut à Carole Thibaut. Encombrée de prothèses et de perruques, de cagoules et d’artifices, comme une femme qui se cherche, la voici enfin nue devant vous, arrivée à sa vérité, tout aussi nue. « Ex machina » révèle bien une déesse, et la possibilité d’un dénouement ; celui de la sortie de la « machine » à broyer les femmes, et en particulier les femmes de théâtre. Manifeste de la créatrice, créatrice manifeste.

 

© Héloïse Faure

 

 

Le 3 février, le TNP proposait également une journée « Genre et Pouvoir ». En guise d’ouverture, une projection du film No Gravity, (2011), suivi d’un débat avec sa réalisatrice, l’ancienne astrophysicienne Silvia Casalino. Dans son film, Casalino s’est interrogée sur l’absence de femmes dans le monde de la conquête spatiale, si on excepte les « human calculators ». Vrai documentaire « à histoire », mais aussi plein d’humour, No Gravity convoque Star Trek pour se questionner sur le narratif blanc et viril du monde des fusées. Le débat a évoqué aussi Valentina Vladimirovna Terechkova, icône soviétique, qu’on a accusé d’être ivre lors de son vol spatial… faux ! si Terechkova a été malade lors de la phase de rentrée atmosphérique, c’est par un phénomène fort naturel. Elle n’a eu le tort que de vouloir… nettoyer ses vomissements, revenant dans sa capsule, mue par un réflexe atavique… Aurore Evain, pionnière du matrimoine, et femme puissante qui a réussi à imposer à nouveau à l’Académie le mot d’autrice, est ensuite venue parler de ses recherches, et aussi de son Laodamie (pièce de Catherine Bernard), bientôt créé (le 27 février) à la Ferme de Bel Ebat. Elle a ensuite échangé avec Eliane Viennot autour de reines, de loi salique, et de vision genrée de l’histoire. La journée s’est conclue par des ateliers, suivis d’une restitution, menés de main de maîtresse par Julie Rossello Rochet, Charlotte Fermand et Chloé Bégou.

 

 

 

Ex Machina, de Carole Thibaut

Texte, mise en scène & jeu :  Carole Thibaut (éditions Lansman)

Assistante à la mise en scène : Liora Jaccottet

Création lumière : Yoann Tivoli

Création sonore : Karine Dumont

Création vidéo : Benoît Lahoz

Création costumes : Malaury Flamand assistée d’Ophélie Reiller

Dialogues artistiques & amicaux : Pascal Antonini, Caroline Châtelet, Marion Godon, Elsa Granat, Vanasay Khamphommala, Philippe Ménard…

Régie générale : Guilhèm Barral

 

Créé au Théâtre des Ilets, Montluçon.

Du 30 janvier au 3 février 2024 au TNP Villeurbanne-CDN, 20h ou 20h30

Durée : 1h35

 

Théâtre National Populaire

8 place Lazare-Goujon

69627 Villeurbanne cedex

04 78 03 30 00

 

www.tnp-villeurbanne.com

 

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