© Antony Rodriguez
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Cécile Winter est une héroïne. Une héroïne du quotidien. Engagée pour le bien commun. De celles qui agissent vraiment. Dans la générosité pure et avec conviction.
D’abord ouvrière, elle a repris des études à près de 30 ans, et a choisi Médecine pour se sentir utile (avec une licence de philosophie et de médecine). C’est auprès des malades du sida que sa vocation tardive s’est épanouie, après la réa, au service VIH de l’hôpital de Montreuil pendant 25 ans. Et c’est à son action que Mónica Mojica rend hommage dans ce spectacle original et émouvant, un hommage que l’intéressée n’aura malheureusement pas pu voir dans sa forme achevée.
La forme hybride fait une grande partie de son intérêt. De long extraits de son témoignage passent en voix off sur fond de vidéos en noir et blanc (des éléphants d’abord, des populations africaines ensuite pour saluer allégoriquement la mémoire des millions de morts sur ce continent où les traitements sont arrivés beaucoup plus tard qu’en Europe), entrecoupés de scènes sur le plateau exécutées avec des micros à pieds par 5 comédiens jouant des situations du quotidien vécues par des malades du sida et des soignants avec délicatesse parfois, perspicacité, humour aussi, certains d’entre eux exécutant également en même temps des bruitages à vue sur le plateau à cour (pas dans l’escalier, sons de café-restaurant, nettoyage d’un bras avant la perfusion…). Si on a une petite réserve pour la première partie du dispositif (les vidéos et les extraits de l’entretien sont parfois un peu longs car comportent des redondances, qu’il serait utile de couper, réduction qui ne nuirait pas au propos bien au contraire), la seconde est extrêmement bien menée. Il faut saluer le talent des comédiens (sans exception) dans la dizaine de rôles qu’ils accomplissent chacun, ils savent créer de l’empathie sans misérabilisme, ils suscitent chez le spectateur, sans bouger devant leur micro, une imagination instantanée. La mise en scène est millimétrée et d’une grande efficacité (à l’exception de la réserve précitée).
L’explication du titre qui peut surprendre est trouvée au bout d’une demi-heure du spectacle, quand Cécile Winter s’émeut du sort du corps d’un malade une fois décédé, qui n’avait jamais été visité pendant tout son séjour à l’hôpital. Elle est incrédule devant l’absence de sépulture et d’accompagnement du défunt s’écriant : « Même les éléphants le font ! ». En revanche, l’on n’a pas saisi pourquoi cette originale comparaison a été traduite en anglais.
Sur le fond, le traitement de l’époque, de l’évolution des traitements et surtout de la question du rapport du corps des soignants aux patients est remarquable et sans caricature.
« J’ai sérieusement envisagé d’arrêter la médecine » a avoué Cécile Winter lorsqu’elle s’est trouvée accusée par l’une de ses consœurs d’acharnement thérapeutique, alors qu’elle avait au contraire par sa simple attention aux faits permis de sauver un patient. Son écoute bienveillante et dévouée lui a également été reprochée, quand elle allait visiter parfois les patients chez eux pour les suivre jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à leur mort, ou quand elle résistait à des pratiques stériles, telle que celle d’interroger les malades sur le type de groupe à risque auquel ils appartenaient, alors que la connaissance du mode de contamination ne permettait en rien d’améliorer la prise en charge, ni le choix de la thérapie. Ce respect du droit à la vie privée et de la dignité des personnes ne sont pas explicitement mentionnés, mais bel et bien au cœur de sa carrière et de sa pratique pragmatique. Son intérêt pour le continent africain est allé au-delà de l’adoption du fils de l’une de ses patientes, par un dévouement et une tentative d’alerter sur l’urgence, qui fut inaudible pour les gouvernements ou laboratoires ayant d’autres intérêts à défendre…
On sort de l’Artéphile à la fois ému et plein de gratitude pour la compagnie Horizontal-Vertical avec ce projet théâtral courageux, qui rend un juste hommage à un modèle d’humanité.
© Antony Rodriguez
Even Elephants do it de Mónica Mojica et Antoine Voituriez
Mise en scène et scénographie : Mónica Mojica
Lumières : Samuel Halfon
Musique originale et son : Alejandro Gómez Upegui
Vidéo : Jean-Baptiste Droulers
Avec : Éleonore Lamothe, Remi Oriogun – Williams, Clara Rousselin, Cyprien Fiassé, Adam Migevant
Et la voix off de Cécile Winter
Jusqu’au 26 juillet (relâche les 13 et 20), 11h30
Artéphile
7 rue du Bourg Neuf
84 000 Avignon
Réservation : www.artephil.com
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