© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
On ne peut pas vraiment dire que Et jamais nous ne serons séparés de Jon Fosse, prix Nobel de littérature en 2023, est un spectacle qui touche. Ce serait un mensonge. Il perd, nous perd, déchire, nous déchire. Une femme seule, parle à un homme, qu’elle attend, le dîner est prêt, la table est mise mais il n’est pas là, pas encore. Régulièrement, la porte s’ouvre et dans la lumière cet homme apparaît, presque muet, silhouette immense qui répond à peine aux questions de cette femme. Il disparaît, revient, la femme s’interroge toujours, sur le passé, le présent ? Demain ? Une relation qui a été, est, sera, aurait pu être ? Comment le savoir exactement ? Puis l’homme se pose lui aussi des questions, la ronde continue puisqu’une seconde femme, plus jeune, les « rejoint ». Qui est-elle ? Une autre ou la même quelques années auparavant ? Le fruit du mensonge ou une image ? Tous se torturent lentement, dans le vide, dans l’interrogation. C’est surtout la toute première qui parle, souriante, sûre, puis l’inverse et on recommence. Sur le couple, l’amour, sur toi, sur moi, affirmations multiples, peurs et contraire pour faire comme si la vérité était détenue.
Qui est face à nous réellement ? La table mise existe-t-elle ? Et le vin ? Cette porte d’entrée ? La mémoire s’amuse-t-elle ? Le vrai et le faux ont-ils trop bu ? Une valse de questions, oui. Et jamais nous ne serons séparés semble se jouer des spectateurs troublés, suspendus, paumés sans doute. Présence, absence, tout glisse lentement, mais vers quoi ? Ce texte date du début de l’œuvre de Jon Fosse, c’est sa seconde pièce, et il est assez surprenant justement parce cette sorte de mini coups répétés, sont toujours plus ou moins les mêmes, encore et encore. Sommes-nous face à des souvenirs ? La mort s’amuse-t-elle en torturant celle ou celles qui restent ? Ou celui, allez savoir… On croit voir une femme inquiète, simple au tout début, plongée dans des moments que nous connaissons tous, l’attente, les questions sans fin, sans suite, mais un point d’interrogation plus que flou se fixe, nous fait sourire, rire parfois. On a envie de monter sur scène et de les rassurer les uns et les autres, mais le jus de raisin mousseux dans les verres à pied ne donne pas envie.
Ligotés dans l’interrogation extraordinaire, on termine tout de même par se lasser un peu de ce cercle infini. Il a mille raison d’être, le jeu est excellent tout comme la mise en scène, oui. Toutefois, au bout d’un moment on a compris, saisit la magie et de temps en temps on regarde ailleurs, tachant de comprendre comment tient la table sans pieds ou admirant les jeux de lumières, le tissu de la robe ou la longueur d’un pantalon. On s’éloigne, alors que dix minutes avant nous étions ligotés, tenus dans un émerveillement sans fin. Ceci vient sans doute du texte, le jeu reste toujours aussi surprenant, encore une fois, oui. Mais les questions restent multiples sur cette superposition d’écrans transparents, de moments présents ou issus d’on ne sait quoi, mémoire, alcool, valse neurologique ? Allez savoir…
© Jean-Louis Fernandez
Et jamais nous ne serons séparés, texte de Jon Fosse, mise en scène et scénographie de Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou
Traduction : Terje Sinding
Avec : Solène Arbel, Yann Boudaud et Dominique Reymond
Création lumières : Juliette Besançon
Musique : Olivier Pasquet
Costumes : Olga Karpinsky
Construction décor : Théo Jouffroy – Ateliers du Théâtre de Gennevilliers
Assistanat à la mise en scène stagiaire : Juliette Carnat
Remerciements : Marianne Ségol-Samoy
Production : T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National
Coproduction : La Comédie, Centre Dramatique National de Reims ; Le Méta Centre Dramatique National Poitiers Nouvelle-Aquitaine ; Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy ; La Comédie de Genève ; Ircam – Centre Pompidou ; Théâtre du Beauvaisis – Scène Nationale
La pièce Et jamais nous ne serons séparés de Jon Fosse (traduction de Terje Sinding) est publiée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.com
Du 19 septembre au 13 octobre 2025
Durée : 1h30
TG2, Théâtre de Gennevilliers
Plateau 1
41 avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
Réservation : 01 41 32 26 26
Dimanche 28 septembre : rencontre publique avec l’équipe artistique
Samedi 4 octobre à 15h : visite du théâtre et du décor du spectacle avec Romain Taussat, régisseur général. Gratuit sur inscription par mail à rp@tgcdn.com
Dimanche 12 octobre : représentation en audiodescription réalisée par Stéphanie Béghain, pour les personnes malvoyantes et non-voyantes, précédée d’une visite tactile du décor
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