À l'affiche, Critiques // « Et Balancez mes cendres sur Mickey » de Rodrigo Garcia au théâtre de la Commune d’Aubervilliers

« Et Balancez mes cendres sur Mickey » de Rodrigo Garcia au théâtre de la Commune d’Aubervilliers

Jan 30, 2015 | Commentaires fermés sur « Et Balancez mes cendres sur Mickey » de Rodrigo Garcia au théâtre de la Commune d’Aubervilliers

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

C’est une reprise et c’est bien. Bien de constater combien l’œuvre de Rodrigo Garcia résiste au temps et aux critiques, résiste au scandale, à la polémique. Démontre aussi et surtout la cohérence d’une œuvre pertinente, sensible et redoutablement intelligente, roublarde même. Manipulant parfaitement les codes de la représentation qu’il explose sciemment par la performance il déplace et retourne avec brio le propos dont la violence ne doit rien à l’image ni au verbe mais à ce qu’ils sous-tendent. C’est dans le processus de la représentation mise à nue, désossée en quelque sorte, et le manque qu’elle provoque plus que dans la réalisation finalisée, dans son attente, et le vide qu’elle provoque en chacun de nous, ouvrant une brèche vertigineuse, que se situe la violence qu’on lui reproche. Ne nous en prenons qu’à nous-mêmes, cette violence c’est nous qui la projetons sur le plateau. Certes les images sont chocs, faussement provocatrices, mais il suffit de gratter un peu pour en découvrir toute la portée – et même sa poésie – qui réside dans le signifié plus que le signifiant. Plus précisément l’image accompagne le verbe, le mot, non dans l’illustration littérale, ce qui n’aurait aucun intérêt, serait purement gratuit, mais dans son prolongement. Elle n’est en aucun cas, malgré les apparences, dissociée mais bien associée, profondément liée. En ce sens le théâtre de Rodrigo Garcia est en quelque sorte un théâtre du signe où le signifié est l’image, le signifiant le verbe. C’est le plateau dans son ensemble qui devient signe. Texte, image, corps étroitement imbriqués dans un processus qui révèle les arcanes sous-terrain de la théâtralité, sa fabrique, qu’il met à nu parce que le théâtre chez Rodrigo Garcia n’a de sens et de portée que dans sa globalité, l’envers et l’endroit.

604517-france-spain-theatre© Olivier Laban-Mattei. AFP

« Et Balancez mes cendres sur Mickey » dénonce les ravages de la consommation. Combien soumis à celle-ci, programmé dès l’enfance, notre rapport à la nature est irrémédiablement perdu, altéré. Un lac vu du ciel n’existe pas, c’est une base de loisirs. Combien le langage est perverti, détruit par la politique. « (…) avec la langue, la pensée et, avec la pensée, l’action et, avec l’action, la connaissance et, avec la connaissance, la volonté. (…) » Autrement dit, la mort. Texte terriblement efficace et d’une poésie radicale, brutale, dit de façon mécanique, sans état d’âme avant d’être projeté sur le mur. Un monde contre-nature donc contre lequel il faut lutter pour ne pas mourir dans l’uniformité grise et morbide d’une société malade. Retrouver l’animalité, être un chien juste pour exprimer sa joie sans préjugé. Retrouver l’amoralité joyeuse. Et c’est cette « joie » qui dans la seconde partie de cette création va exploser. Les acteurs/performers vont s’échiner dans l’urgence à déconstruire ce que la société a construit. Retrouver une humanité. Les ravages de cette société sont là, sur le plateau. Une voiture et la famille idéale, chien compris, qui pose, étale leur réussite. Alors, puisqu’il faut lutter, c’est contre soi et pour retrouver l’état de nature. Montaigne baise avec Rousseau, head-fucking férocement drôle et tout un symbole. On se débarrasse de ses fringues qui signent notre appartenance à la civilisation urbaine et consumériste. On s’enduit de miel, on se recouvre de pain de mie ou de cheveux. Gaspillage, bouffe, outrance et pourtant beauté absolue. On plonge des rats dans un aquarium et c’est nous qui tentons de ne pas se noyer. Une femme est tondue. Rien de violent. Juste un renoncement bravache d’une beauté terrible qui signe un acte de révolte. On se jette dans la boue et l’on s’épuise de chutes en chutes. Les images, les actions défilent et nous sommes sidérés. Voilà. C’est poignant, c’est d’une beauté foudroyante et d’un spleen terrible qui vous abat d’un coup sec. Rodrigo Garcia se joue du trash qu’il sublime. Rien de gratuit, jamais. Le plateau est ravagé, les performers épuisés, signe d’une résistance acharnée. Résistance, sans doute ce qui définit le mieux le théâtre de Rodrigo Garcia. Les images sont autant de contre-point du texte, son prolongement disions-nous, qu’elles éclairent d’éclats étincelants comme ce corps couché recouvert de plaques de verre multicolore, petits miroirs, et qui scintille dans l’obscurité. C’est cet éclat-là, ces étincelles en chacun de nous que Rodrigo Garcia allume comme on allume une mèche lente qui finit par tout faire exploser. Mais dans ces éclats de miroirs c’est avant tout nous qui nous réfléchissons. C’est la grande force de Rodrigo Garcia de nous renvoyer à nous-mêmes et de faire de nous un objet de scandale. Ce que son théâtre, dans sa générosité et sa rudesse, n’est pas.

Et Balancez mes cendres sur Mickey
écrit et mis en scène par Rodrigo Garcia
Traduction française, Christilla Vasserot (éd. Les Solitaires Intempestifs, 2007)
Avec Nuria Lloansi, Juan Loriente, Gonzalo Cunill
Création lumières, Carlos Marquerie
Assistant à la mise en scène, John Romao
Design des projections, Ramon Diago
Direction technique, Gérard Espinosa

La Commune
Centre Dramatique National d’Aubervilliers
2, rue Edouard Poisson
93300 Aubervilliers
Du 28 janvier au 15 février 2015
Mardi, mercredi à 19h30
Jeudi, vendredi à 20h30
Samedi 18h, dimanche 16h
Réservations : 01 48 33 16 16
Lacommune-aubervilliers.fr

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